La parfaite Lumiere
clouée au lit plusieurs mois chez le seigneur Karasumaru, à Kyoto.
Matin et soir, elle toussait beaucoup et avait un peu de fièvre. Elle
maigrissait, ce qui rendait plus beau que jamais son visage ; mais il
s’agissait d’une beauté excessivement délicate, laquelle attristait ceux qui la
rencontraient.
Pourtant, ses yeux brillaient.
D’abord, elle était heureuse du changement survenu chez Osugi. Ayant fini par
comprendre qu’elle s’était trompée au sujet d’Otsū et de Musashi, la douairière
Hon’iden ressemblait à une ressuscitée. Et Otsū nourrissait un espoir, né
de la certitude que le jour était proche où elle reverrait Musashi. Osugi lui
avait dit :
— Afin de réparer tous les
désagréments que je t’ai causés, je vais me jeter aux pieds de Musashi pour le
supplier de régulariser la situation. Je me prosternerai. Je lui présenterai
des excuses. Je le convaincrai.
Après avoir annoncé à sa propre
famille et à tout le village que les fiançailles de Matahachi et d’Otsū
étaient rompues, elle détruisit le document qui témoignait de la promesse de
mariage. Dès lors, elle se fit un devoir de déclarer à tous et à chacun que le
seul mari convenable, pour Otsū, était Musashi.
Le village avait changé ; la
personne qu’Otsū connaissait le mieux à Miyamoto était donc Osugi,
laquelle avait à cœur de soigner la jeune fille : chaque matin, chaque
soir, elle arrivait au Shippōji avec les mêmes questions pleines de
sollicitude :
— As-tu mangé ? As-tu
pris ton médicament ? Comment te sens-tu ?
Un jour, elle déclara, les larmes
aux yeux :
— Si tu n’étais pas revenue à
la vie, cette nuit-là, dans la caverne, j’aurais voulu y mourir aussi.
Auparavant, la vieille femme
n’avait jamais hésité à gauchir la vérité ou à dire carrément des
mensonges ; l’un des derniers avait concerné la présence à Sayo d’Ogin. En
réalité, nul n’avait vu Ogin depuis des années, ni eu de ses nouvelles. Tout ce
que l’on savait, c’est qu’elle s’était mariée et était partie dans une autre
province.
Donc, d’abord, Otsū trouva
les protestations d’Osugi incroyables. Même si elle était sincère, il
paraissait vraisemblable que ses remords s’useraient au bout d’un moment. Mais
à mesure que les jours se transformaient en semaines, elle devenait plus
dévouée, plus attentive à l’égard d’Otsū.
« Je n’aurais jamais imaginé
qu’elle fût si bonne, au fond » : voilà ce qu’Otsū en vint à penser
d’elle. Et comme la chaleur humaine et la bonté neuves d’Osugi s’étendaient à
tout son entourage, ce sentiment se trouvait largement partagé tant par la
famille que par les villageois ; pourtant, beaucoup exprimaient leur
étonnement avec moins de délicatesse, en demandant par exemple :
« Quelle mouche a bien pu piquer la vieille sorcière ? »
Même Osugi s’émerveillait de la
gentillesse universelle envers elle, maintenant. Autrefois, même son entourage
le plus proche tremblait à son seul aspect ; maintenant, tout le monde
souriait et lui parlait cordialement. Enfin, à un âge où le simple fait d’être
en vie devait lui inspirer de la reconnaissance, elle apprenait pour la
première fois ce que c’était que d’être aimée et respectée par autrui. Une
personne de connaissance lui demanda franchement :
— Que vous arrive-t-il ?
Votre visage paraît plus séduisant chaque fois que je vous vois.
« Peut-être », songea
Osugi plus tard au cours de la même journée en se regardant dans le miroir. Le
passé avait laissé son empreinte. A son départ du village, ses cheveux étaient
encore poivre et sel. Maintenant, ils étaient tout blancs. Ça lui était égal,
car elle estimait que son cœur, du moins, était maintenant exempt de noirceur.
Le navire à bord duquel se
trouvait Musashi faisait régulièrement une escale d’une nuit à Shikama pour
décharger et recharger. La veille, après en avoir informé Otsū, Osugi lui
avait demandé :
— Que vas-tu faire ?
— J’y serai, bien sûr.
— Dans ce cas, j’y vais
aussi.
Otsū se leva de son lit de
malade, et elles se mirent en route sur l’heure. Il leur fallut jusqu’à la fin
de l’après-midi pour marcher jusqu’à Himeji ; tout ce temps, Osugi veilla
sur Otsū comme sur une enfant.
Chez Aoki Tanzaemon, ce soir-là,
on projeta d’organiser au château de Himeji un dîner en l’honneur de Musashi.
On estimait
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