La parfaite Lumiere
comme l’ancien empereur de Chine, que l’objet aimé la
rejoindrait dans l’au-delà.
Elle devait dire ce qu’elle avait
à dire, quoi que lui-même pût dire ou faire. Elle avait eu la force de venir
jusque-là. Maintenant, la rencontre était proche, et le pouls de la jeune fille
s’accélérait follement.
Osugi n’avait pas de pareils
problèmes. Elle choisissait les mots dont elle se servirait pour s’excuser de son
incompréhension et de sa haine, pour se décharger le cœur et demander pardon.
Preuve de sa sincérité : elle veillerait à confier à Musashi la vie d’Otsū.
Seul un reflet dans l’eau, de
temps en temps, perçait les ténèbres. Et le silence régna jusqu’à ce que l’on
entendît courir Jōtarō.
— Enfin ! s’exclama
Osugi, toujours debout sur la berge. Où donc est Musashi ?
— Grand-mère, je suis désolé.
— Désolé ? Que
veux-tu dire ?
— Ecoutez-moi. Je vais tout
vous expliquer.
— Je ne veux pas
d’explications. Musashi vient, oui ou non ?
— Il ne vient pas.
— Il ne vient pas ?
Sa voix exprimait la déception.
Jōtarō, l’air fort embarrassé, rapporta ce qui s’était passé :
au samouraï qui avait gagné en barque le navire, on avait répondu qu’il ne
faisait pas escale. Aucun passager ne voulait débarquer à Shikama ; la
cargaison avait été déchargée par allège. Le samouraï avait demandé à voir
Musashi, lequel était venu au flanc du bateau s’entretenir avec l’homme, mais
avait déclaré qu’il était hors de question de descendre. Lui et le capitaine
voulaient arriver à Kokura le plus rapidement possible.
A peine le samouraï rejoignait-il
la plage avec ce message, que déjà le bateau regagnait la haute mer.
— On ne peut même plus le
voir, dit avec abattement Jōtarō. Il a déjà contourné les pinèdes, à
l’autre bout de la plage. Je suis désolé. Ce n’est la faute de personne.
— Pourquoi n’as-tu pas pris
la barque avec le samouraï ?
— Je n’y ai pas pensé... De
toute façon, nous n’y pouvons rien ; inutile de revenir là-dessus.
— Je suppose que tu as
raison, mais quelle tristesse ! Qu’allons-nous dire à Otsū ? Tu
vas devoir le faire, Jōtarō ; je n’en ai pas le courage. Tu peux
lui dire exactement ce qui s’est passé... mais tâche de la calmer
d’abord ; sinon, sa maladie risque d’empirer.
Mais Jōtarō n’eut pas
besoin de s’expliquer. Otsū, assise derrière un morceau de natte, avait
tout entendu.
« Si je l’ai manqué ce soir,
se dit-elle, je le verrai un autre jour, sur une autre plage. »
Elle croyait comprendre pourquoi
Musashi ne voulait pas quitter le bateau. Dans tout l’ouest de Honshu et de
Kyushu, Sasaki Kojirō était considéré comme le plus grand de tous les
hommes d’épée. En défiant sa primauté, Musashi devait brûler de la
détermination de vaincre. Il ne devait songer qu’à cela.
« Penser qu’il était si
proche ! » soupira-t-elle.
Les joues ruisselantes de larmes,
elle cherchait des yeux l’invisible voile qui s’avançait lentement vers
l’ouest. Inconsolable, elle s’appuyait au plat-bord.
Alors, pour la première fois, elle
prit conscience d’une énorme force qui montait en elle avec ses larmes. En
dépit de sa fragilité, quelque part au fond de son être jaillissait une source
d’énergie surhumaine. Elle ne s’en était pas rendu compte, mais son indomptable
volonté lui avait permis de persévérer à travers ces longues années de maladie
et d’angoisse. Un sang neuf irriguait ses joues d’une vie nouvelle.
— Grand-mère !
Jōtarō !
Comme ils descendaient lentement
la berge, Jōtarō demanda :
— Qu’y a-t-il,
Otsū ?
— J’ai entendu ce que vous
avez dit.
— Vraiment ?
— Oui. Mais je ne pleurerai
plus. J’irai à Kokura. Je verrai de mes yeux le combat... Il n’est pas sûr que
Musashi gagne. Sinon, j’ai l’intention de recueillir ses cendres et de les
rapporter.
— Mais vous êtes
malade !
— Malade ?
Elle avait chassé de son esprit la
notion même de maladie ; elle paraissait remplie d’une vitalité qui
transcendait la faiblesse de son corps.
— ... N’y pensez plus. Je
vais parfaitement bien. Mon Dieu, je suis peut-être encore un peu malade, mais
tant que je n’aurai pas vu le résultat du combat...
« ... je suis bien décidée à ne
pas mourir » : tels étaient les mots qui faillirent s’échapper de ses
lèvres. Elle les retint
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