La parfaite Lumiere
ils
arrivèrent au pied des montagnes, dans la grand-rue de Hachiōji, où,
disait-on, il n’y avait pas moins de vingt-cinq auberges.
— ... Eh bien,
Jōtarō, où descendrons-nous ?
Jōtarō, lequel avait
suivi Daizō comme son ombre, lui répondit en termes sans équivoque :
— N’importe où... sauf dans
un temple.
Ayant choisi l’auberge la plus
vaste et la plus imposante, Daizō y entra et demanda une chambre. Son
aspect distingué, joint à l’élégante malle laquée que son domestique portait
sur son dos, fit une impression considérable sur le principal employé qui dit
avec maintes courbettes :
— Vous arrivez de bonne
heure, n’est-ce pas ?
Au bord des grand-routes, les
auberges avaient coutume de voir des hordes de voyageurs débarquer à l’heure du
dîner ou même plus tard. Daizō fut introduit dans une vaste chambre au
premier étage ; mais peu après le coucher du soleil, l’aubergiste et le
principal employé entrèrent.
— Je suis très ennuyé,
commença l’aubergiste, mais une troupe nombreuse de clients vient d’arriver
brusquement. Je crains bien qu’il n’y ait ici beaucoup de bruit. Si ça ne vous
ennuyait pas trop de monter dans une chambre du deuxième étage...
— Oh ! ça n’a aucune
importance, répondit Daizō, accommodant. Je suis content de voir que vos
affaires marchent. Faisant signe à Sukeichi, son valet, de s’occuper des
bagages, Daizō s’apprêta à monter. A peine eut-il quitté la pièce qu’il
fut dépassé par des femmes du Sumiya.
A l’auberge, ce n’était pas de
l’activité mais de la frénésie. A cause du tapage que l’on menait en bas, les
serviteurs ne venaient pas quand on les appelait. Le dîner fut en retard ;
après quoi, nul ne vint desservir. Pour couronner le tout, les deux étages
retentissaient d’allées et venues. Daizō dut faire appel à toute sa
sympathie envers l’aide mercenaire pour ne point perdre son calme. Sans tenir
compte du désordre de la chambre, il s’étendit pour faire un petit somme, la
tête sur le bras. Au bout de quelques minutes, il lui vint une idée soudaine,
et il appela Sukeichi. Celui-ci ne paraissant point, Daizō ouvrit les
yeux, se mit sur son séant et cria :
— Jōtarō viens
ici !
Mais il avait disparu, lui aussi.
Daizō se leva et se rendit
sur la véranda où il vit se presser des clients tout excités qui regardaient
bouche bée, ravis, les prostituées du premier étage. Ayant surpris
Jōtarō parmi les spectateurs, Daizō le ramena de force dans la
chambre. L’œil sévère, il lui demanda :
— ... Qu’est-ce que tu
regardais ?
Le long sabre de bois du garçon,
qu’il gardait même à l’intérieur, racla le tatami tandis qu’il s’asseyait.
— Eh bien, répondit-il, tout
le monde regarde.
— Et que regarde-t-on au
juste ?
— Oh ! il y a des tas de
femmes dans l’arrière-salle, en bas.
— C’est tout ?
— Oui.
— Qu’est-ce que ça a de si
drôle ?
La présence des putains ne gênait
pas Daizō, mais pour une raison quelconque il trouvait agaçant l’intense
intérêt des hommes qui les lorgnaient.
— Je n’en sais rien, répondit
sincèrement Jōtarō.
— Je vais faire un tour en
ville, dit Daizō. Reste ici pendant mon absence.
— Je ne peux pas vous accompagner ?
— Pas la nuit.
— Pourquoi non ?
— Je te l’ai déjà dit, quand
je vais me promener ce n’est pas seulement pour m’amuser.
— C’est pour quoi,
alors ?
— Ça concerne ma religion.
— Vous n’avez donc pas assez
de sanctuaires et de temples pendant la journée ? Les prêtres eux-mêmes
doivent dormir la nuit.
— La religion, c’est plus que
les sanctuaires et les temples, jeune homme. Et maintenant, va me chercher
Sukeichi. Il a la clé de ma malle.
— Il est descendu il y a
quelques minutes. Je l’ai vu lorgner dans la chambre où sont les femmes.
— Lui aussi ? s’exclama Daizō
avec un claquement de langue désapprobateur. Va le chercher, et vite.
Après le départ de
Jōtarō, Daizō se mit en devoir de rattacher son obi.
Ayant appris que les femmes
étaient des prostituées de Kyoto, célèbres pour leur beauté et leur
savoir-faire, les clients masculins n’en pouvaient détacher les yeux. Sukeichi
se trouvait tellement absorbé par cette vision qu’il en était encore bouche bée
quand Jōtarō l’eut repéré.
— Allons, assez regardé, aboya
le garçon en tirant le serviteur par
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