La parfaite Lumiere
elle éclata en sanglots furieux. Cela éveilla chez Jōtarō une
étrange peur. Il avait envie de pleurer, lui aussi.
— Allons, Akemi. Rentrons.
— Oh ! j’ai tant envie
de le voir ! Trouve-le-moi, Jōtarō. Je t’en prie, trouve-moi
Musashi.
— Du calme ! Ne bougez
pas ; c’est dangereux.
— Oh ! Musashi !
— Attention !
A cet instant, le rōnin du
débit de saké sortit de l’ombre.
— Va-t’en, le gosse,
ordonna-t-il. Je la ramène à l’auberge.
Il prit Jōtarō par les
aisselles et l’écarta sans douceur. C’était un homme de haute taille, âgé de
trente-quatre à trente-cinq ans, aux yeux profondément enfoncés dans les
orbites, à la barbe fournie. Une cicatrice irrégulière, sans nul doute laissée
par un sabre, allait de sous son oreille droite à son menton. L’on eût dit la
déchirure dentelée d’une pêche ouverte. La gorge serrée, Jōtarō tenta
la cajolerie :
— Akemi, je vous en prie,
venez avec moi. Tout ira bien.
Maintenant, la tête d’Akemi
reposait sur la poitrine du samouraï.
— Regarde, dit l’homme, elle
s’est endormie. File ! Je la ramènerai plus tard.
— Non ! Lâchez-la !
Comme le garçon refusait de
bouger, le rōnin tendit lentement une main et le saisit au collet.
— ... Bas les pattes !
cria Jōtarō en résistant de toutes ses forces.
— Espèce de petit
chenapan ! Et si je te jetais dans le fossé ?
— Vous voulez rire !
Il se dégagea ; sitôt qu’il
fut libre, sa main rencontra la poignée de son sabre de bois. Il en porta un
coup au flanc de l’homme, mais son propre corps exécuta un saut périlleux et
atterrit sur un rocher, au bord de la route. Il poussa un seul gémissement,
puis s’immobilisa. Au bout d’un moment, il entendit des voix autour de
lui :
— Allons, réveille-toi.
— Qu’est-ce qui s’est
passé ?
Ouvrant les yeux, il aperçut
vaguement un petit rassemblement.
— Tu es réveillé ?
— Tu vas bien ?
Gêné par l’attention qu’il
suscitait, il ramassait son sabre de bois et tentait de s’éclipser lorsqu’un
employé de l’auberge le saisit par le bras.
— Une minute !
aboya-t-il. Qu’est devenue la femme avec laquelle tu étais ?
Regardant autour de lui,
Jōtarō eut l’impression que les autres étaient également de
l’auberge, clients aussi bien qu’employés. Certains des hommes portaient des
gourdins ; d’autres, des lanternes rondes en papier.
— ... Un homme est venu nous
dire que vous aviez été attaqués, et qu’un rōnin avait enlevé la femme.
Sais-tu de quel côté ils sont allés ?
Encore étourdi, Jōtarō
secoua la tête.
— ... C’est impossible. Tu
dois bien avoir une idée quelconque.
Jōtarō désigna la
première direction venue.
— Maintenant, je me souviens.
C’était de ce côté-là.
Il répugnait à dire ce qui s’était
réellement passé, craignant de se faire morigéner par Daizō pour s’être
laissé entraîner dans cette histoire, redoutant aussi d’avouer devant ces gens
que le rōnin l’avait terrassé. Malgré le vague de sa réponse, la troupe
s’éloigna à toutes jambes, et bientôt un cri s’éleva :
— La voilà !
Là-bas !
Les lanternes se rassemblèrent en
cercle autour d’Akemi dont la forme échevelée gisait là où elle avait été
abandonnée, sur une meule de foin dans une grange. Ramenée à la réalité par les
piétinements, elle se releva péniblement. Le devant de son kimono était
ouvert ; son obi traînait par terre. Elle avait du foin dans les cheveux
et sur ses vêtements.
— Qu’est-ce qui s’est
passé ?
Bien que tout le monde eût le mot
« viol » au bord des lèvres, nul ne le prononça. Il ne leur vint pas
non plus à l’esprit de courir après le scélérat. Tout ce qui était arrivé à
Akemi, pensaient-ils, était bien de sa faute.
— Allons, rentrons, dit l’un
des hommes en la prenant par la main.
Akemi s’écarta vivement. Sa face
désolée appuyée contre le mur, elle éclata en sanglots amers.
— Elle a l’air ivre.
— Comment s’est-elle mise
dans un état pareil ?
Jōtarō avait assisté de
loin à la scène. Il ne comprenait pas dans tous les détails ce qui était arrivé
à Akemi ; néanmoins, pour une raison quelconque, cela lui évoqua un
souvenir qui n’avait rien à voir avec elle. L’excitation d’être couché dans la
remise à fourrage de Koyagyū avec Kocha lui revint, ainsi que la peur
étrangement
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