La parfaite Lumiere
et – tenez-vous bien – vingt
au sanctuaire de Kanda Myōjin. Il voulait que ce dernier fût maintenu en
bon état car il abrite l’âme de Taira no Masakado. Daizō affirme que
Masakado n’était pas un rebelle. Il estime qu’il conviendrait de révérer en lui
le pionnier qui a ouvert la partie orientale du pays. En ce monde, il y a de
bien curieux donateurs.
A peine avait-il fini de parler
qu’une troupe d’enfants accourut en désordre vers eux.
— ... Que faites-vous
ici ? leur cria sévèrement le prêtre. Si vous avez envie de jouer,
descendez au bord de la rivière. Vous ne devez pas courir comme des fous dans
les jardins du temple.
Mais les enfants continuèrent
comme un banc de vairons jusqu’au péristyle.
— Venez vite ! cria
l’un. C’est affreux !
— Il y a un samouraï, là-bas.
Il est en train de se battre.
— A un contre quatre.
— De vrais sabres !
— Bouddha me pardonne,
encore ! gémit le prêtre en se hâtant d’enfiler ses sandales.
Et, avant de s’éloigner en
courant, il prit quelques instants pour s’expliquer :
— ... Excusez-moi. Je vais
devoir vous laisser un moment. La berge est un lieu d’élection pour les
combats. Chaque fois que j’ai le dos tourné, il y a là-bas quelqu’un qui met
quelqu’un d’autre en pièces ou le réduit en bouillie. Alors, des employés du
magistrat viennent me demander un rapport écrit. Il faut que j’aille voir ce
que c’est.
— Une bagarre ?
s’écrièrent en chœur Yajibei et ses hommes – et les voilà partis au pas de
course.
Osugi les suivit ; mais elle
était si peu solide sur ses jambes que, le temps d’arriver là-bas, la bataille
était finie. Les enfants et des badauds venus d’un proche village de pêcheurs
formaient un cercle silencieux ; pâles, ils avalaient difficilement leur
salive. D’abord, Osugi trouva bizarre un tel silence ; mais alors, elle
aussi, le souffle coupé, écarquilla les yeux. A terre passait l’ombre d’une
hirondelle. Vers eux s’avançait un jeune samouraï à l’expression satisfaite,
vêtu d’un manteau pourpre d’homme de guerre. Remarqua-t-il ou non les
spectateurs ? Il ne leur prêta aucune attention.
Le regard d’Osugi passa à quatre
corps qui gisaient, emmêlés, à une vingtaine de pas derrière le samouraï. Le
vainqueur s’arrêta. Cependant, un hoquet jaillit de plusieurs bouches, car l’un
des vaincus avait bougé. Se relevant péniblement, il cria :
— Halte ! Tu ne peux
t’enfuir comme ça.
Le samouraï se mit en garde,
tandis que le blessé s’élançait en haletant :
— ... Ce... combat n’est...
pas encore fini.
Lorsqu’il passa faiblement à
l’attaque, le samouraï recula d’un pas, ce qui fit trébucher l’homme en avant.
Alors, le samouraï frappa, fendant en deux le crâne de l’homme.
— Et maintenant, il est
fini ? cria-t-il férocement.
Nul ne l’avait même vu dégainer la
« Perche à sécher ».
Ayant essuyé sa lame, il se baissa
pour se laver les mains dans la rivière. Les villageois avaient beau être
habitués aux batailles, le sang-froid du samouraï les stupéfiait. La mort du dernier
homme avait été non seulement instantanée, mais d’une inhumaine cruauté. Nul ne
souffla mot. Le samouraï se redressa, s’étira.
— ... Ça ressemble tout à
fait à la rivière Iwakuni, dit-il. Ça me rappelle chez moi.
Son regard erra quelques instants
sur la large rivière et sur un vol d’hirondelles à ventre blanc qui piquaient
droit sur l’eau et la rasaient. Puis il se détourna et descendit rapidement
vers l’aval.
Il alla droit au bateau de Yajibei ;
mais comme il commençait de le détacher, Jūrō et Koroku sortirent de
la forêt et coururent à lui.
— Un moment ! Qu’est-ce
que vous faites là ? cria Jūrō, maintenant assez près pour voir
le sang sur le hakama et les lanières de sandales du samouraï, mais qui
n’en tint aucun compte.
Lâchant la corde, le samouraï fit
un large sourire et demanda :
— Ne puis-je prendre ce
bateau ?
— Bien sûr que non !
aboya Jūrō.
— Et si je payais ?
— Ne dites pas de bêtises.
La voix qui rejetait brusquement
la requête du samouraï était celle de Jūrō mais dans un sens, c’était
toute la nouvelle ville fougueuse d’Edo qui s’exprimait sans frayeur par sa
bouche. Le samouraï ne présenta pas d’excuses, mais ne recourut pas non plus à
la force. Il tourna les talons, et s’éloigna sans mot
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