La parfaite Lumiere
dire.
— Kojirō !
Kojirō ! Attendez ! appela Osugi à pleins poumons.
En voyant qui c’était, Kojirō
perdit son expression rébarbative et fit un sourire cordial.
— Tiens, que faites-vous
ici ? Je me demandais ce que vous deveniez.
— Je suis venue ici rendre
hommage à Kanzeon. Je suis accompagnée de Hangawara Yajibei et de ces deux
jeunes gens. Yajibei m’héberge chez lui, à Bakurōchō.
— Quand donc vous ai-je
rencontrée pour la dernière fois ? Voyons... au mont Hiei. Vous disiez
alors que vous alliez à Edo ; aussi, je me disais que j’avais des chances
de tomber sur vous. Je ne m’attendais guère à ce que ce fût ici.
Il jeta un coup d’œil à Jūrō
et Koroku, pétrifiés.
— ... Vous voulez dire :
ces deux-là ?
— Oh ! ce ne sont que
deux brutes, mais leur chef est un homme très bien.
Yajibei était tout aussi frappé de
la foudre que tous les autres de voir son invitée bavarder cordialement avec le
terrifiant samouraï. Il accourut, s’inclina devant Kojirō, et dit :
— Je crains bien que mes
garçons n’aient été très grossiers envers vous, monsieur. J’espère que vous
leur pardonnerez. Nous sommes tout prêts à partir. Peut-être vous plairait-il
de descendre la rivière avec nous.
Copeaux
Pareils à la plupart des gens
réunis par les circonstances, et qui d’ordinaire n’ont rien ou pas grand-chose
en commun, le samouraï et son hôte ne tardèrent pas à trouver un terrain
d’entente. La réserve de saké était abondante, le poisson frais ; Osugi et
Kojirō se trouvaient liés par une curieuse parenté spirituelle qui évitait
que l’atmosphère ne tombât dans un formalisme guindé. Ce fut avec un
authentique intérêt qu’elle s’enquit de sa carrière de shugyōsha ,
et lui des progrès de la vieille dame dans la réalisation de sa « grande
ambition ». Lorsqu’elle lui répondit qu’elle ignorait de longue date où se
trouvait Musashi, Kojirō lui apporta un rayon d’espoir :
— Le bruit court qu’il est
allé voir deux ou trois hommes de guerre éminents, l’automne et l’hiver
derniers. Quelque chose me dit qu’il est encore à Edo.
Yajibei n’en était pas certain,
bien sûr, et informa Kojirō que ses hommes n’avaient absolument rien
appris. Après qu’ils eurent discuté de la situation d’Osugi sous tous ses
angles, Yajibei dit :
— J’espère que nous pouvons
compter sur votre amitié fidèle.
Kojirō répondit sur le même
ton, et mit une certaine ostentation à rincer sa coupe afin de l’offrir non
seulement à Yajibei mais à ses deux subordonnés, à chacun desquels il versa à
boire. Osugi était dans le ravissement.
— A ce que l’on dit, fit-elle
observer d’un ton grave, partout où l’on regarde on trouve quelque chose de
bien. Même ainsi, j’ai une chance extraordinaire ! Penser que j’ai dans
mon camp deux hommes forts tels que vous !... Je suis sûre que la grande
Kanzeon me protège.
Elle ne tentait de cacher ni ses
reniflements ni les larmes qui lui venaient aux yeux. Peu désireux que la
conversation prît un tour larmoyant, Yajibei demanda :
— Dites-moi, Kojirō, qui
donc étaient les quatre hommes que vous avez terrassés là-bas ?
Il semblait que ce fût l’occasion
guettée par Kojirō, car sa langue déliée se mit sur-le-champ au
travail :
— Ah ! ceux-là ?
commença-t-il avec un rire nonchalant. De simples rōnins de l’école Obata.
J’y suis allé cinq ou six fois pour discuter de questions militaires avec
Obata, et ces individus ne cessaient d’intervenir avec des remarques
impertinentes. Ils ont même eu l’audace de faire des discours sur
l’escrime ; aussi leur ai-je dit que s’ils venaient au bord de la Sumida
je leur enseignerais les secrets du style Ganryū, et leur montrerais le
tranchant de la « Perche à sécher ». Je leur ai dit que peu
m’importait à combien ils viendraient... Quand je suis arrivé, ils étaient
cinq, mais sitôt que je me suis mis en garde, l’un d’eux a pris ses jambes à
son cou. Je dois dire qu’Edo ne manque pas d’hommes qui parlent mieux qu’ils ne
se battent.
Il rit de nouveau, bruyamment
cette fois.
— Obata ?...
— Vous ne le connaissez
pas ? Obata Kagenori. Il descend d’Obata Nichijō, qui servait la
famille Takeda de Kai. Ieyasu l’a pris à son service, et maintenant il est
maître de science militaire du shōgun, Hidetada. Il a également sa
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