La parfaite Lumiere
vivre au lieu de mendier
pour vivre. Il voulait également implanter sa propre façon de penser parmi les
gens de la région. D’après lui, en abandonnant les terres aux mauvaises herbes
et aux chardons, en cédant aux tempêtes et aux inondations, ils se transmettaient
de génération en génération une existence au jour le jour, sans jamais ouvrir
les yeux sur leurs propres possibilités ni celles de la terre qui les
entourait.
— ... Iori, appela-t-il, va
chercher de la corde et attache ce bois. Ensuite, descends-le jusqu’à la berge
de la rivière.
Quand cela fut fait, Musashi posa
sa hache contre un arbre et essuya de l’avant-bras la sueur de son front. Puis
il descendit et dépouilla les arbres de leur écorce avec une hachette. Quand la
nuit tomba, ils firent du feu avec l’écorce, et trouvèrent des blocs de bois
pour leur servir d’oreillers.
— ... Travail intéressant,
non ? dit Musashi.
— Je ne le trouve pas
intéressant du tout, répondit Iori avec une sincérité parfaite. Je n’avais pas
besoin de devenir votre élève pour apprendre à faire ça.
— Avec le temps, tu
apprendras à l’aimer.
L’automne déclinant, les voix des
insectes se taisaient. Les feuilles flétries tombaient. Musashi et Iori
terminèrent leur cabane, et préparèrent le terrain pour les plantations.
Un jour, alors qu’il examinait ses
terres, Musashi se prit soudain à penser qu’elles symbolisaient l’agitation
sociale qui dura un siècle après la guerre d’Ōnin. Tableau peu encourageant.
A l’insu de Musashi, la Hōtengahara
avait à maintes reprises, à travers les siècles, été ensevelie sous les cendres
volcaniques du mont Fuji, et la rivière Tone avait de façon répétée inondé les
terres basses. Par beau temps, c’était la sécheresse ; mais chaque fois
qu’il tombait de fortes pluies, l’eau creusait de nouvelles rigoles, emportant
de grandes quantités de boue et de pierre. Nul cours d’eau principal où se
jetaient naturellement les plus petits ; ce qui s’en rapprochait le plus
était un large bassin qui manquait de capacité suffisante soit pour arroser,
soit pour drainer l’ensemble de la région. Le besoin le plus urgent sautait aux
yeux : acquérir la maîtrise de l’eau.
Pourtant, plus il avait regardé,
plus il s’était demandé pourquoi la région était sous-développée. « Ce ne
sera pas commode », songea-t-il, excité par le défi que cela posait. Unir
l’eau et la terre en vue de créer des champs productifs n’était pas très
différent du fait de mener les hommes et les femmes de telle sorte que la
civilisation pût fleurir. Musashi estimait son but en parfait accord avec ses
idéaux d’homme d’épée.
Il en était venu à considérer la
Voie du sabre sous un nouvel angle. Un an ou deux auparavant, il avait
seulement voulu vaincre tous ses rivaux ; or, maintenant, l’idée que le
sabre existait pour lui donner pouvoir sur autrui ne le satisfaisait plus.
Abattre les gens, triompher d’eux, montrer jusqu’où sa propre force pouvait
aller, tout cela lui semblait de plus en plus vain. Il voulait se vaincre
lui-même, soumettre la vie elle-même, faire vivre les gens plutôt que les faire
mourir. La Voie du sabre ne devait pas servir uniquement à son propre
perfectionnement. Elle devait être une source de force pour gouverner les gens,
les conduire à la paix et au bonheur.
Il se rendait compte que ses
idéaux de grandeur n’étaient que des rêves, et le resteraient aussi longtemps
qu’il lui manquerait l’autorité politique nécessaire à leur accomplissement.
Mais ici, dans ce désert, il n’avait besoin ni de rang ni de pouvoir. Il se
plongeait dans la lutte avec un joyeux enthousiasme.
A longueur de journée on déracina
les souches, tamisa le gravier, nivela le sol, creusa des fossés dans la terre
et le roc. Musashi et Iori travaillaient depuis avant l’aube jusqu’après que
les étoiles brillaient dans le ciel.
Leur labeur acharné ne passait pas
inaperçu. Les villageois qui passaient par là s’arrêtaient souvent, ouvraient
de grands yeux et faisaient des commentaires :
— Ils sont fous !
— Comment est-ce qu’ils
peuvent vivre dans un endroit pareil ?
— Le garçon n’est-il pas le
fils du vieux San’emon ?
Chacun riait, mais tous ne s’en
tenaient pas là. Un homme, par bonté pure, vint leur déclarer :
— Ça m’ennuie de vous dire ça
mais vous perdez votre temps. Vous aurez beau
Weitere Kostenlose Bücher