La parfaite Lumiere
s’est-elle établie
ici ?
— Du vivant de mon
grand-père.
— Où se trouvait ta famille
avant cela ?
— Mon grand-père était un
samouraï du clan Mogami ; mais après la défaite de son seigneur, il a
brûlé notre généalogie. Il n’est rien resté.
— Je ne vois pas son nom
gravé dans la pierre. Il n’y a même pas d’écusson familial ou de date.
— A sa mort, il a donné
l’ordre de ne rien inscrire sur la pierre. Il était très strict. Une fois, des
hommes sont venus du fief de Gamō, une autre fois du fief de Date, et lui
ont offert un poste, mais il a refusé. Il disait qu’un samouraï ne devrait pas
servir plus d’un seul maître. Il était aussi comme ça au sujet de la pierre.
Depuis qu’il était devenu fermier, il disait que s’il mettait son nom dessus,
la honte en rejaillirait sur son seigneur mort.
— Connais-tu le nom de ton
grand-père ?
— Oui. Il s’appelait Misawa
Iori. Mon père, n’étant que fermier, a renoncé au nom de famille et ne s’est
appelé que San’emon.
— Et ton nom à toi ?
— Sannosuke.
— Tu as de la famille ?
— Une sœur aînée, mais il y a
longtemps qu’elle est partie. Je ne sais pas où elle se trouve.
— Personne d’autre ?
— Non.
— Comment comptes-tu vivre, à
présent ?
— Comme avant, je suppose.
Mais alors, il se hâta
d’ajouter :
— ... Ecoutez : vous
êtes shugyōsha , n’est-ce pas ? Vous devez voyager partout.
Emmenez-moi avec vous. Vous pourrez monter mon cheval, et je serai votre
palefrenier.
Tout en retournant dans sa tête la
requête du garçon, Musashi regardait le pays qui s’étendait à leurs pieds.
Comme il était assez fertile pour alimenter une pléthore de mauvaises herbes,
Musashi ne comprenait pas pourquoi on ne le cultivait pas. Ce n’était sûrement
pas parce que les gens de l’endroit se trouvaient à l’aise ; Musashi avait
vu partout des signes de pauvreté.
La civilisation, pensait-il, ne
fleurit pas avant que les hommes n’aient appris à exercer un contrôle sur les
forces de la nature. Il se demandait pourquoi les gens de cette région, au
centre de la plaine de Kanto, étaient aussi impuissants, pourquoi ils se
laissaient opprimer par la nature. Tandis que le soleil se levait, Musashi
apercevait de petits animaux et des oiseaux qui faisaient leurs délices des
richesses que l’homme n’avait pas encore appris à moissonner. Du moins le
semblait-il.
Les circonstances lui rappelèrent
bientôt que Sannosuke, malgré son courage et son indépendance, était encore un
enfant. Quand le soleil fit étinceler la rosée du feuillage et qu’ils furent
prêts à prendre le chemin du retour, le garçon n’était plus triste ; et
même, il semblait avoir chassé de son esprit tout souvenir de son père. A
mi-pente de la colline, il se mit à harceler Musashi pour obtenir une réponse à
sa proposition :
— ... Je suis prêt à partir aujourd’hui
même, déclara-t-il. Pensez donc : partout où vous irez, vous pourrez
monter le cheval, et je serai là pour vous servir.
Ce qui suscita un grognement
évasif. Bien que Sannosuke eût beaucoup en sa faveur, Musashi se demandait s’il
devait reprendre la responsabilité de l’avenir d’un jeune garçon.
Jōtarō... il avait des aptitudes naturelles ; mais à quoi lui
avait servi de s’attacher à Musashi ? Et maintenant qu’il avait disparu
Dieu savait où, Musashi ressentait encore plus vivement sa responsabilité.
Pourtant, songeait-il, si un homme ne s’appesantit que sur les dangers qui le
guettent, il ne peut avancer d’un seul pas, sans parler de réussir dans la vie.
En outre, dans le cas d’un enfant, personne, et pas même ses parents, ne
saurait véritablement se porter garant de son avenir. « Est-il possible de
décider avec objectivité de ce qui est bon pour un enfant et de ce qui ne l’est
pas ? se demandait-il. S’il s’agit de développer les talents de Sannosuke
et de le guider dans la bonne direction, j’en suis capable. J’imagine que c’est
à peu près tout ce que n’importe qui peut faire. »
— Vous me le promettez,
n’est-ce pas ? Je vous en prie ! insistait le garçon.
— Sannosuke, veux-tu être
palefrenier toute ton existence ?
— Jamais de la vie. Je veux
être samouraï.
— Je le pensais bien. Mais si
tu viens avec moi pour devenir mon élève, tu en verras de toutes les couleurs,
tu sais.
Le garçon lâcha la corde et, avant
que
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