La parfaite Lumiere
bref coup d’œil, et dit
d’un ton inquiet :
— Cette fois, c’est sérieux.
Comme il prononçait ces paroles,
un tourbillon de vent les enveloppa. Les feuilles s’agitèrent, et les petits
oiseaux tombèrent au sol, comme abattus par une invisible et silencieuse troupe
de chasseurs.
— Une autre averse ?
demanda Musashi.
— Pas avec un ciel pareil. Je
ferais mieux d’aller au village. Et vous feriez mieux de ramasser les outils et
de rentrer le plus vite possible.
Musashi n’eut pas le temps de lui
demander pourquoi : Iori s’élança à travers la plaine, et se perdit
bientôt dans un océan de hautes herbes.
Ici encore, le sens météorologique
du jeune garçon se révéla juste. La soudaine averse, poussée par de furieuses
rafales de vent, qui envoya Musashi à toutes jambes s’abriter, avait ses
rythmes propres. La pluie tombait durant quelque temps en quantités
incroyables, s’arrêtait soudain puis reprenait avec une rage encore plus
grande. La nuit vint, mais la tempête ne s’apaisait pas. Les cieux parurent
vouloir transformer en océan la terre entière. Plusieurs fois, Musashi craignit
que le vent n’arrachât le toit ; déjà le sol était jonché de bardeaux
arrachés.
Vint le matin gris, informe, et
pas trace d’Iori. Debout à la fenêtre, Musashi était découragé, impuissant. Çà
et là, il distinguait un arbre ou une touffe d’herbe ; tout le reste
n’était plus qu’un vaste marais bourbeux. Par chance, la cabane se trouvait
encore au-dessus du niveau de l’eau ; mais à ses pieds, dans ce qui avait
été un lit de rivière à sec, s’élançait maintenant un torrent qui emportait
tout sur son passage. Incertain si Iori ne s’était pas noyé, Musashi trouvait
le temps long ; enfin, il crut entendre la voix de l’enfant qui
l’appelait :
— Sensei ! Je
suis là !
A quelque distance au-delà de la
rivière, monté sur un bœuf, il avait un gros ballot attaché derrière lui.
Musashi consterné le regarda descendre droit dans le courant bourbeux qui
semblait devoir l’aspirer à chaque pas.
Lorsqu’il atteignit l’autre berge,
il tremblait de froid et d’humidité mais guida tranquillement sa monture au
flanc de la cabane.
— D’où viens-tu ?
demanda Musashi d’une voix tout à la fois irritée et soulagée.
— Du village, bien sûr. J’ai
rapporté des tas de nourriture. Il pleuvra encore beaucoup avant que cette
tempête ne soit passée, et quand elle le sera nous serons bloqués par les
inondations.
Une fois qu’ils eurent transporté
à l’intérieur le ballot de paille, Iori le défit et sortit un par un les
articles de leur emballage de papier imperméable :
— ... Voilà des châtaignes...
des lentilles... du poisson salé. Nous ne devrions pas manquer de nourriture,
même si l’eau met un mois ou deux pour baisser.
Les yeux de Musashi s’embuèrent de
gratitude, mais il ne souffla mot. Il était trop confus de son propre manque de
bon sens. Comment pouvait-il guider l’humanité s’il se montrait insoucieux de
sa propre survie ? Sans Iori, il eût maintenant risqué de mourir de faim.
Et l’enfant, élevé dans une lointaine campagne, devait savoir depuis le berceau
faire des provisions. Musashi trouvait curieux que les villageois eussent
accepté de fournir toute cette nourriture. Ils ne devaient pas avoir
grand-chose pour eux-mêmes. Quand il eut recouvré la voix et posé la question,
Iori lui répondit :
— J’ai laissé ma bourse en
gage, et emprunté au Tokuganji.
— Et qu’est-ce que c’est que
le Tokuganji ?
— Le temple, à environ trois
kilomètres d’ici. Mon père m’a dit qu’il y avait de la poudre d’or dans la
bourse. Il a dit que si j’avais des ennuis, je devrais l’utiliser par petites
quantités. Hier, quand le temps est devenu mauvais, je me suis rappelé ses paroles.
Iori arborait un sourire de
triomphe.
— Cette bourse n’est-elle pas
un souvenir de ton père ?
— Si. Maintenant que nous
avons brûlé la vieille maison, cette bourse et le sabre sont les seules choses qui
me restent.
Il caressait la poignée de la
petite arme, à son obi. Bien que la soie ne portât aucune signature d’artisan,
Musashi avait remarqué, en examinant précédemment la lame, qu’elle était
d’excellente qualité. Il avait aussi le sentiment que la bourse héritée
présentait une signification qui dépassait celle de la poudre d’or qu’elle
contenait.
— Tu ne devrais
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