La parfaite Lumiere
plaine
environnante. « Qu’est-ce qu’il attend ? » se demandait le
garçon. Posant la main sur la tête d’Iori, Musashi lui dit :
— C’est ici que tu es né, et
que tu as pris ta résolution de vaincre.
Iori acquiesça de la tête.
— ... Au lieu de servir un
second seigneur, ton grand-père s’est retiré de la classe des guerriers. Ton
père, fidèle aux dernières volontés de ton grand-père, s’est contenté d’être un
simple fermier. Sa mort t’a laissé seul au monde ; aussi le temps est-il
venu pour toi de voler de tes propres ailes.
— Oui, monsieur.
— Tu dois devenir un grand
homme !
— J’essaierai.
Les larmes lui montèrent aux yeux.
— Durant trois générations,
cette maison a abrité ta famille du vent et de la pluie. Remercie-la puis
dis-lui adieu, une fois pour toutes et sans regrets.
Musashi entra dans la masure et y
mit le feu.
Quand il en ressortit, Iori
refoulait ses larmes.
— ... Si nous laissions la
maison debout, dit Musashi, elle servirait seulement de cachette aux bandits de
grand chemin ou aux simples voleurs. Je la brûle afin d’empêcher des hommes
pareils de profaner la mémoire de ton père et de ton grand-père.
— Je vous en suis
reconnaissant.
La cabane se transforma en petite
montagne de feu, puis s’effondra.
— ... Partons, dit Iori que
n’intéressaient plus les reliques du passé.
— Pas encore.
— Il n’y a plus rien à faire
ici, vous ne croyez pas ?
Musashi se mit à rire.
— Nous allons bâtir une
nouvelle maison sur cette butte, là-bas.
— Une nouvelle maison ?
Pourquoi ? Vous venez d’incendier la vieille.
— Celle-là appartenait à ton
père et à ton grand-père. Celle que nous construirons sera pour nous.
— Vous voulez dire que nous
allons rester ici ?
— Tout juste.
— Nous ne partons pas quelque
part nous entraîner et nous discipliner ?
— Nous le ferons ici.
— A quoi pourrons-nous bien
nous entraîner, ici ?
— A être des hommes d’épée, à
être des samouraïs. Nous disciplinerons notre esprit et nous travaillerons dur
pour devenir des êtres humains dignes de ce nom. Viens avec moi, et apporte
cette hache.
Il désignait une touffe d’herbe où
il avait mis les outils de la ferme. La hache sur l’épaule, Iori suivit Musashi
à la butte où poussaient quelques châtaigniers, pins et cryptomerias.
Musashi, torse nu, empoigna la
hache et se mit à l’ouvrage. Bientôt, il envoyait en l’air une véritable pluie
d’éclats de bois blanc.
Iori le regardait en
songeant : « Peut-être qu’il va construire un dōjō. A moins
que nous ne nous exercions en plein air ? »
Un arbre tomba, puis un autre et
encore un autre. La sueur ruisselait sur les joues rouges de Musashi, emportant
la léthargie et la solitude des derniers jours.
Il avait conçu son projet actuel
tandis qu’il se tenait devant la tombe fraîche du fermier, dans le minuscule
cimetière. « Je vais déposer quelque temps mon sabre, avait-il décidé,
pour travailler avec une houe à la place. » Le Zen, la calligraphie, l’art
du thé, la peinture de tableaux et la sculpture de statues : tout cela
était utile pour perfectionner l’art du sabre. Labourer un champ ne pouvait-il
aussi contribuer à l’entraînement ? Cette vaste étendue de terre
n’attendait-elle pas quelqu’un pour la cultiver : une parfaite salle
d’entraînement ? En transformant des terres inhospitalières en terres de
culture, il contribuerait aussi au bien-être des générations à venir.
Il avait passé toute sa vie comme
un prêtre mendiant zen : à recevoir, pour ainsi dire, à dépendre d’autrui
pour la nourriture, l’abri et les dons. Il voulait opérer un changement, un
changement radical, car il soupçonnait depuis longtemps que seuls, ceux qui
avaient réellement fait pousser leur propre grain et leurs propres légumes
comprenaient véritablement à quel point ils étaient sacrés, précieux. Les
autres ressemblaient aux prêtres qui ne pratiquent pas ce qu’ils prêchent, ou
bien aux hommes d’épée qui ont appris les techniques du combat mais ignorent
tout de la Voie.
Enfant, sa mère l’avait emmené
dans les champs ; il avait travaillé avec les fermiers et les villageois.
Mais son but, maintenant, était plus que la simple production de nourriture
pour ses repas quotidiens ; il cherchait à se nourrir l’âme. Il voulait
savoir ce que représentait le fait de travailler pour
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