La parfaite Lumiere
ils
devaient travailler pour leur postérité.
Avec chaque jour quarante à
cinquante villageois pour les aider, dès l’automne ils purent maîtriser les
inondations. Quand vint l’hiver, ils labourèrent. Au printemps, ils tirèrent de
l’eau des nouveaux fossés d’irrigation, et transplantèrent les jeunes pieds de
riz. Dès le début de l’automne, le riz prospérait tandis que dans les champs
secs, le chanvre et l’orge avaient déjà un pied de haut. Une autre année, et la
récolte doublerait ; l’année suivante, elle triplerait.
Les villageois commencèrent à
passer à la cabane présenter leurs respects, et remercier Musashi du fond du
cœur ; les femmes apportaient des présents de légumes. Le jour de la célébration,
les hommes arrivèrent avec de grandes jarres de saké, et tous prirent part à
l’exécution d’une danse sacrée accompagnée de tambours et de flûtes. Musashi
avait assuré aux villageois réunis autour de lui qu’il ne s’agissait pas de sa
force à lui mais de la leur :
— Je n’ai fait que vous
montrer comment utiliser l’énergie que vous possédez.
Alors, il avait pris le prêtre à
part pour lui déclarer qu’il s’inquiétait de les voir dépendre d’un vagabond
tel que lui :
— ... Même sans moi,
disait-il, ils doivent avoir confiance en eux-mêmes, et rester solidaires.
Il avait alors sorti pour la
donner au prêtre une statue de Kannon, sculptée par lui.
Le lendemain matin de la fête, le
village était sens dessus dessous.
— Il est parti !
— Ça n’est pas possible.
— Si, il a disparu. La cabane
est vide.
Aucun des paysans consternés
n’approcha des champs ce jour-là.
L’ayant appris, le prêtre leur
reprocha sévèrement leur ingratitude, les pressa de se rappeler ce qu’on leur
avait enseigné, et les incita subtilement à continuer l’œuvre entreprise.
Par la suite, les villageois
avaient édifié le minuscule sanctuaire, et placé dedans l’image qu’ils
chérissaient de Kannon. Ils présentaient leurs respects à Musashi matin et
soir, en allant aux champs et en en revenant.
Sado remercia le prêtre pour ces
renseignements, et cacha le fait qu’il était inconsolable, comme il sied à un
homme de sa condition.
Tandis que son cheval revenait à
travers la brume vespérale de fin de printemps, il se disait avec
malaise : « Je n’aurais pas dû remettre ma venue. J’ai failli à mon
devoir, et manqué à mon seigneur. »
Les mouches
Sur la rive orientale de la rivière
Sumida, où la route de Shimōsa convergeait avec un embranchement de la
grand-route d’Oshū, se dressait une grande barrière avec un portail imposant,
qui témoignaient à l’évidence de la ferme autorité d’Aoyama Tadanari, le
nouveau magistrat d’Edo.
Musashi se tenait dans la file, attendant
rêveusement son tour, Iori à son côté. Lorsqu’il avait traversé Edo, trois ans
plus tôt, l’entrée et la sortie de la ville n’avaient pas posé de problème.
Même à cette distance, il pouvait constater qu’il y avait bien plus de maisons
qu’avant, et moins de terrains vagues.
— Vous, là-bas, le rōnin,
c’est à vous.
Deux fonctionnaires en hakama de cuir se mirent à fouiller Musashi de fond en comble, tandis qu’un troisième
le foudroyait du regard en l’interrogeant :
— Pourquoi venez-vous dans la
capitale ?
— Pour rien de particulier.
— Rien de particulier ?
— Mon Dieu, je suis shugyōsha .
L’on pourrait dire que ce sont mes études pour être samouraï qui m’amènent.
L’homme se taisait. Musashi
souriait de toutes ses dents.
— Où êtes-vous né ?
— Au village de Miyamoto,
district de Yoshino, province de Mimasaka.
— Votre maître ?
— Je n’en ai aucun.
— Qui vous fournit l’argent
du voyage ?
— Personne. Je sculpte des
statues et fais des dessins. Quelquefois, j’arrive à les échanger contre de la
nourriture et un logement. Souvent, je séjourne dans des temples. Il m’arrive
de donner des leçons d’escrime. D’une manière ou d’une autre, je me débrouille.
— D’où venez-vous ?
— Depuis deux ans, j’ai fait
de la culture dans la plaine de Hōtengahara, à Shimōsa. Je me suis
dit que je ne voulais pas continuer toute ma vie ; et voilà pourquoi je
suis venu ici.
— Avez-vous un endroit où
habiter à Edo ? Nul ne peut entrer en ville s’il n’y a des parents ou un
endroit où loger.
— Oui, répondit
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