La Part De L'Autre
l'estrade. Elle s'immobilisa
devant Adolf et le visa. Elle manipulait lentement la ceinture de son
kimono, comme pour ajuster son geste, tirer au bon moment.
Soudain
le coup partit, la soie glissa, la chair nue apparut dans une
déflagration nacrée et Adolf s'effondra. Il était
tombé si vite qu'il n'avait pas entendu l'immense « Hourra
! » qui avait soulevé les poitrines de tous les élèves
enthousiastes.
Le
soir même, dans la solitude enfumée de sa petite
chambre, il réfléchit. Il ne pouvait continuer ainsi.
Il ne passerait pas trois ans à tomber en syncope et à
se donner en spectacle. Il fallait qu'il guérisse.
Guérir
? Le mot venait d'être formulé. Il se précipita
sur le bureau et écrivit immédiatement au docteur
Bloch.
Adolf
éprouvait une réelle confiance en celui qui avait pris
soin de sa mère. Il s'agissait plus d'une confiance en l'homme
que d'une confiance en le médecin. Adolf ne s'illusionnait pas
sur sa capacité à soigner, cependant qui pouvait
aujourd'hui arrêter un cancer ? Mais il avait apprécié
avec reconnaissance comment le docteur Bloch avait accompagné
et soulagé les souffrances de sa chère maman.
Dans
la courte missive qu'il rédigea, il ne donna aucun détail
; il se contenta de signifier avec suffisamment d'angoisse son
inquiétude et son désir de consulter rapidement.
La
semaine suivante, Adolf décida de ne pas prendre le risque
d'aller au cours de nu. Il manqua dès la veille en faisant
porter un mot par la veuve Zakreys, prétextant une
indigestion.
Le
même jour, alors qu'il ruminait sur son lit, quelle ne fut pas
sa surprise lorsqu'il entendit jaillir, joyeuse, la voix du docteur
Bloch dans le couloir.
Adolf,
je partais pour Vienne quand j'ai reçu ta lettre.
Le
médecin, un grand homme avenant au nez précis, aux
beaux sourcils d'un noir bleuté qui semblaient, ainsi que les
lacis de sa moustache et le collier de sa barbe, tracés à
l'encre de Chine, souriait à Adolf de toute sa bouche ourlée
et grenat qui faisait fondre sa clientèle féminine à
Linz. Adolf était ému : on avait accouru, on avait
pensé à lui, il avait l'impression de retrouver
quelqu'un de sa famille.
Le
docteur Bloch entra dans la chambre de l'adolescent et parla d'abord
de petites choses sans importance. Adolf appréciait cette voix
grave, chaude, vibrante, qui créait une intimité
immédiate avec qui l'écoutait.
Eh
bien, Adolf, de quoi souffres-tu ?
De
rien, répondit-il car il se sentait bien tout à coup.
Ce
n'est pas l'impression que me donnait ta lettre.
Le
docteur Bloch s'assit et regarda avec attention le garçon.
Dis-moi
ce qui se passe.
Adolf
crut qu'il n'arriverait jamais à exposer son histoire
honteuse, mais sous le regard bienveillant du quadragénaire,
les mots se bousculèrent et tout fut raconté. Adolf, au
fur et à mesure, avait déjà l'impression d'être
soulagé car il évacuait son problème :
maintenant, ce serait celui du docteur Bloch.
Celui-ci,
lorsqu'il eut tout entendu, se gratta longuement la tête. En
quelques questions, il vérifia qu'Adolf avait bien bu et
s'était convenablement alimenté avant ses
évanouissements puis, ces confirmations obtenues, il redevint
pensif.
Adolf
H. se sentait tout à fait bien désormais. Il avait
confiance. Il était même impatient d'avoir le
diagnostic, puis le remède du docteur Bloch.
Le
praticien fit quelques pas hésitants autour du lit.
Adolf,
réponds-moi comme à un grand frère qui t'aime :
as-tu déjà fait l'amour avec une femme ?
Non.
En
as-tu envie ?
Non
!
Sais-tu
pourquoi ?
J'ai
peur.
Le
docteur Bloch tourna encore quatre ou cinq fois autour du lit. Adolf
demanda d'un ton gai :
Alors
? Qu'est-ce que j'ai ?
Le
docteur Bloch prit le temps de répondre :
Tu
as quelque chose qui se soigne, ne t'en fais pas. Je voudrais que tu
viennes avec moi chez un spécialiste.
Un
spécialiste ? s'exclama Adolf avec inquiétude.
Si
tu te cassais la jambe, je t'emmènerais chez un chirurgien.
Si tu toussais trop fort, je t'emmènerais chez un
pneumologue. Je voudrais donc t'emmener chez un spécialiste
de ta maladie.
D'accord
!
Adolf
était rassuré. La science s'occupait de lui. C'est tout
ce qu'il voulait savoir.
Le
docteur Bloch disparut une heure puis revint en annonçant à
Adolf qu'il avait rendez-vous à dix-huit heures.
Adolf
passa l'après-midi à lire et à fumer, puis
rejoignit le docteur Bloch au bout de la rue, comme prévu, à
dix-sept heures trente.
Ils
prirent un tramway, puis un
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