Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
Vom Netzwerk:
sûr...
    Au
terme « psychanalyse », Adolf avait acquiescé d'un
air blasé, du genre
« mais-oui-où-avais-je-donc-la
tête ? », ainsi qu'il avait l'habitude de le faire dès
qu'on prononçait devant lui un mot de plus de quatre syllabes.
Cela lui permettait de prendre le temps de réfléchir.
Psychanalyse ? Etait-il censé connaître ce mot ? Il
ouvrit les portes de sa mémoire et s'aventura dans ses
souvenirs d'expressions grecques : téléologie, dialectique, psychologie, hypermétropie, epistémologie, épidémiologie ... rien
que des termes barbares qui portaient un casque pointu, un glaive,
une lance, et ne se laissaient guère approcher par lui.
Peut-être, au milieu de tous ces farouches vocables hérissés,
se trouvait-il déjà « psychanalyse »...
Science de l'urine ? Des évanouissements ?
Est-ce
que cela te gêne, Adolf, si j'assiste à votre première
séance ? demanda le docteur Bloch.
    Adolf
fut surpris par le ton suppliant de la requête. En réalité,
le docteur Bloch ne faisait pas preuve d'humilité par rapport
à Adolf mais par rapport au docteur Freud qu'il semblait tant
admirer.
Non.
Ça ne me gêne pas du tout.
    Le
docteur Freud indiqua un divan recouvert d'un kilim.
Allongez-vous
là, mon garçon.
    Adolf
s'approcha du canapé et, en un tour de main, se délesta
de sa veste, de sa chemise et de son pantalon.
    La
main sur le caleçon, il allait se mettre entièrement nu
lorsque les deux hommes le regardèrent avec effarement.
Non,
non, dit Freud, en se précipitant au sol pour ramasser ses
vêtements, vous pouvez rester tout habillé.
    Il
semblait rouge de honte devant l'adolescent en chaussettes à
qui il tendait ses vêtements.
    Adolf
se demanda comment on pourrait l'ausculter habillé mais il
s'exécuta, se revêtit et s'allongea. Après tout,
ce serait plus confortable.
    Le
docteur Freud vint s'asseoir sur un fauteuil voisin du divan.
Je
ne vous vois pas, docteur.
C'est
très bien comme cela. Regardez le plafond.
    Adolf
chercha ce qu'il devait lire au plafond mais il se trouvait sous un
plafond normal, blanc, banal, dépourvu de ces affichettes
couvertes de lettres décroissant de l'énorme au
minuscule que les médecins faisaient d'ordinaire déchiffrer
aux patients.
Racontez-moi
votre problème. Non, ne me regardez pas. Je vous écoute.
    Tant
de chichis commençaient à agacer Adolf mais il profita
du fait qu'il ne fixait personne pour raconter plus aisément
ses évanouissements à l'Académie.
    Il
entendait le docteur Freud gratter dans son carnet et s'en sentait
assez fier : il disait donc des choses qui méritaient d'être
notées, cet homme s'intéressait à lui.
Aimiez-vous
votre mère, mon garçon ?
    Il
fut tellement surpris par cette question qu'il se leva et se mit à
trembler.
Beaucoup.
    Il
se raidit Il ne fallait pas céder aux larmes. Pas devant deux
hommes.
Et
votre père ?
    Voilà
! C'était une question parfaite pour arrêter de pleurer.
Son visage fut gagné par une onde de froid. Des piques de
glace lui agaçaient les joues. Adolf se tut.
Aimiez-vous
votre père ?
Je
ne comprends pas pourquoi vous me posez cette question.
Et
cela vous empêche de répondre ?
Oui.
J'en
conclus donc que vous n'aimiez pas beaucoup votre père.
    La
fureur remit Adolf sur ses pieds.
Mais
je ne suis pas venu pour cela !
    Il
se planta devant le prétendu docteur avec l'envie de
l'étrangler.
    Tassé
sur son fauteuil vert, Freud prit une figure contrite et baissa les
yeux.
Je
vous prie de m'excuser. Je pensais que cela pouvait avoir un certain
rapport. Je me suis peut-être trompé. Je vous prie de
m'excuser. Je suis désolé. Vraiment.
    Un
sentiment de victoire fit exploser la poitrine d'Adolf. L'adulte
s'excusait ! Il avait remis un adulte à sa place ! Un
spécialiste en plus ! La fierté évacua sa
colère.
    Le
docteur Freud releva lentement les yeux vers Adolf et demanda d'une
voix plus posée, mais où perçait encore la gêne
:
Peut-être
pouvez-vous justement me raconter tous les bons souvenirs que vous
avez gardés de votre père et me décrire, si
cela ne vous chagrine pas trop, les moments où vous avez été
heureux en sa compagnie, serait-ce possible ?
    Adolf
eut, fugitivement, l'impression de s'être fait piéger,
mais il ravala sa salive et murmura :
Soit.
    Il
se rallongea et plongea dans sa mémoire. Les souvenirs
arrivaient en masse, par gerbes, incessants, rebondissants, mais il
devait les trier : pour un seul bon, il y en avait mille mauvais. Son
père, ce père qui avait

Weitere Kostenlose Bücher