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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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continuellement.
    Et
pendant qu'il la laboure, elle lui promet tout ce qu'il veut. Oui.
Avec toi. Plus sans toi. Jamais.
    Il
se retire d'un coup et disparaît.
    Elle
a subitement mal.
    Contre
la douleur s'élèvent des musiques. Pour se remettre, la
foule chante. Elle redescend dans le monde normal.
    Oui,
c'est promis. Il reviendra.
    Hitler
s'est déjà réfugié dans sa voiture.
Ensuite, il sautera dans un avion pour rejoindre une autre ville qui
l'attend déjà.
    Il
fait jouir la foule mais lui n'a pas joui.
    Il
la méprise pour avoir joui si facilement sans que lui ait
joui.
    Et
dans le mépris, il se sent supérieur.
    Et
dans ce mépris, il garde le pouvoir.
    Et
dans sa frustration, il trouvera la force de recommencer une
heure plus tard.

    Matin
blafard sur l'avenue du Bois.
    De
sa fenêtre, Adolf H. suivait le va-et-vient sinistre et
silencieux des huissiers dans la cour ; ils emportaient toutes les
traces de son bonheur avec Onze-heures-trente.
    «
Pourvu que je tienne jusqu'à... »
    Depuis
1929, la crise économique avait ravagé le marché
de l'art, les acheteurs avaient disparu, la plupart parce qu'ils
étaient ruinés, les rescapés parce qu'ils
cherchaient des placements plus sûrs que la peinture moderne,
et les rares milliardaires inamovibles qui pouvaient toujours
dépenser sans craindre attendaient cependant que l'inflation
et les prix baissent encore. Adolf ne vendait plus, n'avait plus de
cote, mais il devait malgré tout honorer ses dettes.
    «Pourvu
que je tienne... »
    Adolf
ne voulait pas qu'Onze connût leur déchéance.
Comme elle n'avait plus la force de sortir de son lit, il était
parvenu à maintenir l'illusion de leur train de vie ; elle
ignorait que, derrière sa porte, la maison était
entièrement vide de ses meubles et que ne demeurait plus à
leur service qu'une femme de chambre trop attachée à
Onze pour partir bien qu'elle ne fut plus payée depuis trois
mois. Même les toiles inachevées de l'atelier venaient
d'être emportées ce matin.
     Des
toiles inachevées, mais qu'allez-vous en faire ? s'exclama
Adolf devant l'huissier.
     Les
vendre au prix de la toile ; quelqu'un d'autre pourra toujours
repeindre par-dessus, répondit maître Plissu avec sa
prononciation onctueuse qui semblait savourer chaque mot comme un
bonbon.
    Adolf
n'avait même pas eu la force de s'indigner. Protester ? A quoi
bon ? L'univers
est injuste, je le sais. Et puis il y a plus grave. Il
n'y avait plus place que pour la tristesse en lui. Il songeait à
ce petit corps autrefois si plein de vie qui s'éteignait
lentement dans la pièce d'à côté.
     Puis-je
vous parler ? Adolf sursauta.
    Au
fond de la pièce déserte et glacée se tenait le
docteur Toubon.
    Docteur
Toubon, maître Plissu, médecin, huissier, tous ces
personnages officiels et interchangeables, grands phoques gras
couverts de noir avec une moustache témoignant de leur
sérieux, voix douces et huilées qui ont un timbre si
opposé aux catastrophes qu'elles annoncent. Discrétion.
Politesse. Horreur. Depuis des semaines leurs allées et
venues, aussi impersonnelles et bien réglées que des
funérailles, lui arrachaient morceau par morceau ce à
quoi il tenait le plus, sa vie avec Onze, l'espoir d'une vie ave
Onze...
     Je
suis venu vous dire que votre femme n'en plus que pour quelques
heures.
     Non
!
     Monsieur
H., j'ai admiré votre courage et la profondeur
de votre affection durant cette épreuve. Par respect pour
votre comportement, je vous dois la vérité.
Elle n'arrive presque plus à respirer ; elle ne passera pas la
journée.
    Adolf
laissa tomber sa tête contre la vitre. Voilà, il
entendait la phrase qu'il redoutait depuis des mois, la phrase contre
laquelle il s'était battu, contre laquelle il avait mobilisé
son énergie et son amour. Tout était détruit.
Rien de tout ça n'avait servi. Fini. A son temps, à son
heure, la mort arrivait quand même.
     Il
faut que vous considériez, monsieur H., que, pour votre femme,
il s'agira d'une véritable délivrance.
    Pauvre
petite Onze si brave, si enjouée, qui s'affaiblissait sans se
plaindre, passant ses dernières heures devant le tableau,
l'unique tableau que les huissiers n'avaient pas emporté, son Portrait
en géante .
    Adolf
sentit que le chagrin allait le déborder et s'enfuit. Dans
l'escalier, il croisa Neumann qui venait leur tenir compagnie, comme
chaque jour.
     Neumann,
elle n'en a plus que pour quelques heures. Va dans sa chambre. Moi,
j'ai une course

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