La Part De L'Autre
que de toute
façon, il ne quitterait jamais Onze...
Au
printemps 1929, Onze-heures-trente fut prise de nausées
subites. Transporté de joie, Adolf pensa qu'elle était
enfin enceinte.
Il
l'amena chez le docteur Toubon, le médecin qui avait le
meilleur diagnostic de Paris, et attendit dans la salle d'attente
d'un mauvais goût prétentieux l'heureuse confirmation
qu'il allait être père.
Le
docteur Toubon passa la tête par la porte et lui demanda de le
rejoindre dans son bureau. Onze n'était pas là, elle se
rhabillait à côté.
Monsieur
H., il va falloir être très courageux. Votre femme est
atteinte d'une forme sévère de tuberculose. Je ne suis
pas optimiste. Pour être franc, ses jours sont comptés.
D'abord
il se fait désirer.
Il
donne un rendez-vous. Toujours loin dans le temps. Toujours
incertain. Car, pour se rendre précieux, il a fait courir la
rumeur que ses nombreuses responsabilités le contraignent
parfois d'annuler. C'est faux mais qui le sait ? Du coup, ce n'est
plus Hitler qui attend la foule mais la foule qui attend Hitler. Qui
l'espère.
Le
jour dit, il met en scène son apparition. Il exige que le lieu
de réunion, quel qu'il soit, ait perdu son aspect ordinaire ;
des drapeaux, des bannières, des rangées de chaises,
des pyramides de tribunes, des haut-parleurs, des projecteurs lui ont
ôté son aspect habituel ; la foule entre dans un
quotidien métamorphosé, embelli, réenchanté.
Ensuite, il se fait attendre. Il organise avec précision son
retard. Il a calculé le temps exact nécessaire à
une foule pour devenir tendue, impatiente, sans être bafouée
ni furieuse. Il sait alors entrer rapidement et bondir sur la tribune
telle une solution.
Il
bouge vite. Ses gestes sont précis, nerveux. Il sait qu'il
doit surprendre par son énergie. La foule ne le connaît
que par ses effigies, ses photographies lentes et silencieuses,
élaborées avec son ami Hoffmann, qui le font paraître
noble et pensif. Maintenant, il doit, en quelques secondes, montrer
les qualités opposées. C'est à ce prix-là
qu'on fascine, à ce prix-là qu'on est une star. Il le
sait, il a étudié les vedettes de cinéma. Seule
la cohabitation des extrêmes dans une même personne
entretient l'appétit de la foule. Greta Garbo règne sur
le monde car sa beauté hautaine, polie, digne d'une statue
antique, est contredite par ses gestes embarrassés de femme
trop grande qui a honte de dominer, ces pas de danseuse maladroite
qui va tomber, ses regards émus d'être trop sensible, sa
nuque d'oiseau blessé. Hitler travaille dans les mêmes
zones de contraste : après avoir imposé l'image d'un
visionnaire calme aux yeux d'azur, au physique alangui, perdu dans
des rêveries sublimes, il va montrer, en chair et en os, une
énergie coupante, mordante, virtuose, fébrile donnant
L'idée qu'une invincible force le dépasse lui-même.
Il
est là. Il fait face à la foule. Ce ne sont encore que
les préliminaires.
La
foule est une femme ; la femme est longue à venir ; Hitler est
un grand amant parce qu'il est encore plus lent qu'elle. Dès
le départ, il livre des arguments, des idées, mais il
donne peu. Il traîne. Il retient. Il veut créer l'envie
dans la foule. Il veut qu'elle s'ouvre. Il garde ses assauts pour
plus tard. Par contre, lorsqu'il s'échauffera, il sera fort,
bandant, inépuisable.
En
amour, on appelle ça un étalon ; en politique, un
démagogue. Le secret de la réussite, c'est de ne penser
qu'à la jouissance de l'autre.
Hitler
commence à faire frémir la foule. Elle applaudit. Elle
veut participer. Il l'attise, la laisse faire, la retient, plaque sa
bouche sur la sienne pour l'empêcher de crier. Il va et vient,
il se retire, il enlève son bâillon : elle exulte.
Il
redonne l'assaut. Elle s'étonne. Quoi ? Déjà ?
Il
va. Il insiste. Elle suit. Elle crie. Il continue.
Elle
gémit. Il change de rythme. Elle ronronne et se plaint à
la fois. Il accélère. Le cœur s'emballe. Elle
jouit
Il
enchaîne immédiatement. Non. Elle n'en peut plus. Elle
est convaincue. Elle a compris. Personne n'est meilleur. Si. Il
insiste et curieusement, elle repart avec lui. Maintenant, sa volonté
est vaincue, elle lui appartient, il est son maître, il fait
d'elle ce qu'il veut. Il est son présent, son avenir car il
est déjà son meilleur souvenir.
Elle
jouit encore, et encore, et encore.
Maintenant,
elle ne distingue même plus les pics de l'orgasme, elle n'est
plus qu'abandon. Elle hurle
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