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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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son timbre habituel de nain qui compense sa petite
taille et veut dominer les autres.
Faisons
un marché, mon cher Adolf. Si, après cette séance,
vous ne rêvez pas, vous ne reviendrez plus jamais. Par contre,
si, comme je le prévois, vous recommencez à rêver,
promettez-moi de revenir. D'accord ?
    Adolf
se sentait si fatigué que pour mettre fin à cette
tension, il était prêt à acquiescer. Partir !
Partir vite 1 Et ne plus jamais revenir ici !
D'accord.
Parole
d'honneur ? Vous revenez si vous rêvez ?
Parole
d'honneur.
    Satisfait,
Freud alla tranquillement s'asseoir derrière son bureau et
gratta quelques notes.
    Adolf
se dirigea vers l'entrée, cherchant son manteau pour
disparaître.
    Sur
le pas de la porte, Freud le retint.
Et
notre marché ?
Ah,
votre enseigne...
    Adolf
reposa son manteau et enfouit son cou dans ses épaules. Rien à
faire ! Pas moyen d'y échapper. Une promesse est une promesse.
Même une promesse faite à un escroc.
Comment
la voulez-vous cette enseigne ? demanda-t-il d'une voix morne.
Cela
ne vous gêne pas que nous changions d’objectif ?
    Adolf
haussa les épaules.
Non,
du moment qu'il s'agit de peinture.
    Le
ravissement vint éclairer la face sévère du
médecin. Il semblait vraiment content.
Très
bien. Alors veuillez me suivre, s'il vous plaît. J'ai tout
préparé.
    Adolf
suivit Freud à travers un couloir. Le médecin ouvrit la
porte d'un réduit.
Voici
le cabinet de toilette que je réserve à mes patients.
Il mérite vraiment un bon coup de peinture fraîche.
    Adolf,
consterné, regarda les murs légèrement moisis
puis les brosses et les pots de peinture céladon posés
sur le carrelage. Il était tellement indigné qu'il ne
trouvait même pas les mots.
    Freud
sourit en disparaissant vers son bureau.
Je
vous avais dit que vous finiriez fâché contre moi.

Appelez-moi
Wetti, dit madame Hörl.
    Hitler
considéra avec respect sa logeuse.
    Madame
Hörl — non, pardon, Wetti — dominait tous les êtres
auxquels elle s'adressait, même lorsqu'elle se penchait pour
servir un café, même lorsqu'elle s'enfonçait dans
son rocking-chair pour fumer un léger cigare. Grande femme
bien plantée, à la poitrine péremptoire, aux
hanches majestueuses, aux fesses impériales, elle laissait
saillir, sous ses robes sévères, un corps qui échappait
à sa volonté. Malgré le chignon strict, malgré
des amoncellements de colliers qui n'étaient pas encore de son
âge, malgré la dentelle de rombière qui
s'échappait de ses poignets ou de son corsage, la générosité
attirante de ses formes se rappelait sans cesse aux regards des
hommes. Des mèches rousses et folles sortaient du filet de sa
coiffure, l'ampleur de ses pas faisait vibrer des cuisses
somptueuses, sa démarche chaloupée laissait imaginer
une sensualité torride. Wetti, comme beaucoup de trop grandes
femmes, ne semblait pas complice de son corps ; il exprimait une part
d'elle-même que son attitude sociale démentait. Elle
parlait d'un ton sec, en comptable avare et pointilleuse, elle
s'habillait en dame patronnesse mais elle bougeait comme une déesse
de harem.
J'apprécie
beaucoup les artistes. Je suis très contente que vous
séjourniez chez moi, Dolferl. Me permettez-vous de vous
appeler Dolferl, mon cher Adolf ?
Mais...
mais oui, Wetti.
    Wetti
sembla contente. Elle était habituée à tout
diriger chez elle, le ménage, les horaires, les mœurs —
«Pas de femme sous mon toit, pas de couple marié »
—, y compris les degrés de familiarité. Elle
pouvait se montrer très distante, voire froide avec certains
locataires, bien qu'ils fussent là depuis des années,
ou très chaleureuse, ainsi qu'elle entendait l'être avec
le jeune Hitler.
    Ce
traitement de faveur agaçait les autres hommes de la pension.
Il leur semblait que Wetti leur disait par là : « Vous
êtes vieux, il est jeune, il me plaît plus que vous. »
Du coup, ils se montraient cassants avec Hitler, ne ratant jamais
l'occasion de lui lâcher une porte sur la figure ou de le
bousculer dans l'escalier, ce que celui-ci ne remarquait pas, non
plus qu'il n'avait noté l'excessive amabilité de madame
Hörl — oh pardon, Wetti — à son égard,
terrorisé qu'il était par cette femme autoritaire et
maternelle, dont même la familiarité lui semblait être
un ordre.
    Hitler
se montrait d'autant plus docile — donc charmant — avec
Wetti qu'il lui avait menti et que la prévenance
exceptionnelle de sa logeuse sortait de ce mensonge. Chaque matin,

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