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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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revue Ostara.

    Adolf,
immobile, assis en tailleur sur son lit, la tête renversée,
les yeux mi-clos, garnissait sa chambre de guirlandes de fumée
lorsque son nom retentit dans la rue.
Adolf
! Adolf ! Dépêche-toi ! Viens !
    Il
se pencha à la fenêtre et découvrit le docteur
Bloch, hilare, en tenue de soirée, cape, smoking et chapeau
haut de forme, penché hors d'un fiacre pour l'interpeller
joyeusement.
    En
un rien de temps, Adolf le rejoignit, couvert de sa redingote élimée,
les gants de son père dans une main, sa vieille canne à
pommeau biseauté dans l'autre.
    Le
fiacre roulait à travers la nuit. Le visage du docteur Bloch
avait des couleurs bizarres, trop rouge aux joues, trop noir et
brillant autour des yeux. Adolf ne l'aurait pas bien connu, il aurait
juré que le médecin s'était maquillé. Le
docteur Bloch buvait coupe de Champagne sur coupe de Champagne ; il
en offrait au jeune garçon qui les ingurgitait aussi sans
défaillir.
    En
chantant, ils arrivèrent dans un quartier lointain de Vienne
qu'Adolf ne connaissait pas. La calèche s'arrêta au bord
d'un canal qui rappelait Venise, toutes les maisons donnant
directement sur l'eau.
    Le
docteur Bloch le fit monter dans une gondole. Sans troubler la
surface des eaux noires, grasses et paisibles, ils parcoururent
plusieurs de ces étranges rues, passant devant des palais
illuminés d'où sortaient les murmures langoureux de
barcarolles.
    La
gondole aborda aux marches d'un casino. Des éclats de rire
tombaient des fenêtres. Les étoiles dansaient sur les
flots.
    Le
docteur Bloch prit Adolf par la main. Ils pénétrèrent
dans un vestibule de marbre qui s'envolait vers les étages par
des escaliers monumentaux. Au premier palier, un groupe de femmes
parées de plumes aux couleurs criardes foncèrent sur
eux et pépièrent, volubiles, dans une langue qu'Adolf
ne comprenait pas. Le docteur Bloch les laissait les toucher, les
caresser, un sourire aux lèvres, sans y prêter plus
d'attention que s'il s'agissait d'animaux familiers. Elles pressaient
les bras, les hanches, les cuisses d'Adolf d'une façon qui lui
déplaisait mais il décida de régler son
comportement sur celui de son aîné.
    Au
deuxième palier, les femmes se dispersèrent
brusquement. Le docteur Bloch fit entrer Adolf dans une chambre où
plusieurs femmes, en chemise de nuit ou en combinaison, se livraient
avec passion à des travaux de broderie, de tricot ou de
couture.
    L'une
d'elles lâcha son ouvrage, porta ses mains à sa gorge et
cria :
Monsieur
Hitler !
    Elles
hurlèrent toutes. Le nom d'Hitler ricochait de tête
bouclée en tête frisée. Elles protégeaient
leur visage avec leurs mains, comme s'il les menaçait de
gifles...
    Le
docteur Bloch tenta de maîtriser la situation.
Non,
ce n'est pas monsieur Hitler, c'est son fils.
    A
cet instant, Adolf ressentit une intense douleur au bas-ventre. Il se
plia en deux sous l'effet du coup. Une femme avait dû le cogner
par traîtrise. Il s'effondra.
    Lorsqu'il
put enfin se redéplier, toutes les belles effrayées
avaient disparu. Le docteur Bloch le considérait
paternellement et répétait :
Je
t'assure que tu n'as rien. Tu es tout à fait normal. Tu n'as
pas le droit de t'infliger des douleurs pareilles.
Mais
je vous assure que ce sont elles qui...
Ttt...
ttt…
L'une
d'elles m'a frappé, j'en suis sûr.
Ttt...
ttt... j'étais à côté de toi, je n'ai
rien vu.
    Adolf
ne savait plus quoi dire, d'autant plus qu'en vérité il
ne sentait plus rien de la douleur fulgurante. A douter même
qu'elle eût seulement existé...
Suis-moi.
    Le
docteur Bloch l'entraîna par la main dans une autre partie du
palais. Après avoir gravi plusieurs étages, parcouru
une quantité de vestibules, ils arrivèrent dans un
petit boudoir où brillait la seule lumière d'une
bougie.
    Une
femme dormait, lascivement allongée dans une méridienne,
à peine couverte d'une blouse de soie rouge.
    Adolf
fut hypnotisé par la blancheur crémeuse de sa peau qui
palpitait à la fois comme une surface et un appel des
profondeurs, satin et pâte, qui appelait à caresser et à
pétrir, une chair qu'on avait envie de saisir bien que sa
beauté inspirât, dans le même temps, une crainte
sacrée.
    Le
docteur Bloch se rendit près de la femme endormie,
s'agenouilla devant elle et ordonna à Adolf de faire de même.
Regarde.
Et habitue-toi.
    Dans
les premières minutes, Adolf ne jeta que des œillades
furtives, craignant que son attention, si elle se montrait

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