Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
Vom Netzwerk:
yeux bleus, seuls
dignes de contempler l'univers, Lanz von Liebenfels avait créé
un ordre, l'ordre du Nouveau Temple, et proposait, dans son vieux
château de Werfenstein, situé au bord du Danube, des
conférences et des cérémonies rituelles.
    Hitler,
fasciné, avait oublié le temps. Son cœur battait
à toute vitesse, sa bouche se desséchait, ses yeux
exorbités dévoraient la moindre miette de texte. Jamais
dans la grande presse viennoise, globalement antiallemande et
profrançaise, il n'avait rencontré ces positions. Même
dans le Deutsches
Volksblatt , l'organe
du parti chrétien social à l'antisémitisme
affirmé, il n'avait pas trouvé cette logique
extrémiste, cette systématisation, l'établissement
d'un programme radical et rationnel découlant de la
supériorité d'une race sur toutes les autres. Il fut
saisi de vertige. Quelque chose de l'exaltation de Lanz von
Liebenfels était passé en lui, comme une fièvre
contagieuse.
    Furieux,
il referma la revue et déchiffra le prix imprimé à
côté de la croix gammée.
Quinze
hellers pour une ineptie pareille ! ? Non seulement ça ne les
vaut pas mais ça devrait être interdit de vente !
Saloperie !
    Révolté
par tant de sottise, choqué par la forme raisonnante,
historiographique, quasi scientifique, que prenait le racisme
délirant de l'idéologue, il alla jeter la revue à
la poubelle.
Voilà
la vraie place de ce torchon !
    Elevé
par sa mère dans le respect des autres, Hitler avait appris à
mépriser les antisémites. Lui-même
n'appréciait-il pas tendrement le docteur Bloch, médecin
de famille, qui avait apporté tant de soutien à sa mère
lors de sa maladie ? Il n'avait jamais jugé les gens en
fonction du fait qu'ils étaient juifs ou non ; d'ailleurs il
ne les repérait pas. A la lecture d'Ostara , il
avait fait plus qu'éprouver à nouveau ce mépris
du racisme enseigné par les siens, il avait ressenti de
l'indignation. Il se sentait personnellement visé par les
violences de Liebenfels : les blonds supérieurs aux bruns !
Alors il fallait qu'Hitler aussi subît une vasectomie et fût
déporté on ne sait où... Quel dangereux tissu
d'insanités !
    Tendu,
agacé, pas assez souriant pour inspirer confiance à ses
belles clientes, Hitler se résolut à ne pas travailler
et rentra au 22, rue Felber.
Oh,
Dolferl, vous voilà déjà ! s'écria,
gênée, la logeuse qui somnolait dans sa chaise longue,
rajustant son chignon au-dessus de son corps abandonné,
beaucoup plus voluptueuse qu'elle ne pouvait se l'imaginer.
Oui,
le professeur de portrait était malade. Je suis revenu
travailler dans ma chambre.
Le
professeur de portrait ? Décidément, vous apprenez des
choses merveilleuses.
    Hitler
baissa modestement les yeux.
Vous
voulez bien prendre un thé avec moi ?
Oui,
madame Hörl... euh... oui, Wetti.
    Wetti
sourit en approuvant l'effort, comme une maîtresse d'école
encourage un élève.
    Ils
passèrent dans l'appartement privé de Wetti, où
aucun client n'entrait jamais.
    Wetti
évoluait avec une grâce lente de géante au milieu
de ce salon petit-bourgeois ; en se penchant pour prendre un plateau,
elle laissa ses seins gonfler inconsidérément son
corsage; en s'asseyant sur la chaise à pompons, elle se cambra
et tendit sa croupe dans une attitude provocante qu'elle croyait
digne puis porta sa tasse à ses lèvres, la huma à
pleines narines, comme si elle allait avaler un morceau de choix.
Savez-vous,
mon cher Dolferl, que je suis furieusement curieuse de connaître
vos dessins ?
    Hitler
s'empourpra.
Oui...:
à l'occasion, peut-être. Pour l'instant, je ne suis pas
content de moi.
Trop
modeste, dit-elle en baissant ses longs cils, dans l'attitude d'une
femme qui consent.
Non.
Non. Pas modeste, lucide.
Oh,
c'est encore mieux, dit-elle dans un râle de poitrine qu'elle
croyait bien élevé mais qui évoquait un cri
d'alcôve.
    Elle
appuya ses coudes sur la table, se pencha vers Hitler, ses seins
manquant de faire craquer son corsage.
J'aimerais
beaucoup, à l'occasion, poser pour vous.
    Elle
réfléchit, faisant une moue indécente avec ses
lèvres.
En
tout bien tout honneur, bien sûr. Je poserais pour un
portrait. Ainsi, vous pourriez vous entraîner...
    Elle
tortilla son doigt dans une boucle rebelle, ses yeux brillèrent
: elle semblait émerveillée par l'idée qu'elle
avait eue.
Qu'en
pensez-vous ?
    Mais
Hitler, effrayé, n'était plus capable de répondre.
    Il
venait de voir, sur sa table à ouvrage, une pile complète
de la

Weitere Kostenlose Bücher