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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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chapeautée, voilettée,
gantée et parfumée violemment à la tubéreuse
qui se tenait devant lui n'avait pas hésité à
interrompre sa sublime méditation. Quel culot ! Ou plutôt,
quelle inconscience !
Vous
ne pourriez pas m'aider ? Vous avez l'air si aimable.
    J'y
suis , pensa
Hitler. Elle
me prend pour un pauvre gars de dix-huit ans qui attend un train.
Elle ne se rend pas compte qu'elle s'adresse à un génie.
    Hitler
sourit et, dans ce sourire, il y avait toute la condescendance de la
divinité qui redescend au niveau des hommes pour leur
signifier avec une tristesse lassée :
« Non, je ne
vous en veux pas de n'être que ce que vous êtes, je vous
pardonne. »
    Il
prit son sac sur son dos, souleva les deux bagages et chemina auprès
de la vieille Hongroise volubile qui le remerciait en gazouillant.
    Une
fois montée dans une calèche, elle saisit la main
d'Hitler, la secoua avec vigueur puis donna l'ordre au cocher de
partir.
    Hitler
ouvrit sa main : elle y avait déposé un billet.
    «
Mon étoile ! songea-t-il. Ma bonne étoile s'est encore
manifestée. C'est mon étoile qui, toute la nuit, m'a
conduit à cette gare, qui a poussé là cette
étrangère à m'accoster et me glisser le billet
dans la main. Merci, maman. Merci. »
    Il
l'avait bien senti, tout à l'heure, au bout d'un quai, assis
sur son sac : il était toujours le centre du monde. Il n'avait
pas rêvé.
    Il
retourna à la gare pour appliquer la leçon du destin.
Toute la journée, il aida les voyageurs à porter leurs
bagages. Les femmes seules descendant des wagons de première
classe se méfiaient des porteurs turcs, trop sonores et trop
basanés, qui les sollicitaient sans ménagement, en
revanche, elles acceptaient l'aide de ce jeune homme pâle —
sans doute un soldat en permission — et se montraient, au
moment de le quitter, plus généreuses avec lui qu'elles
ne l'auraient été avec un professionnel. Aucune ne fut,
certes, aussi munificente que la Hongroise mais c'est bien pour cela
que le destin l'avait envoyée en premier : pour ouvrir la
voie.
    Le
soir, Hitler, un beau pécule en poche, aperçut, en
sortant de la gare, une affichette « chambre à louer»
au 22 de la rue Felber. Il entra, posa l'argent sur la table. On le
conduisit à la chambre 16.
    Il
s'allongea sur le Ut, les bras sur la poitrine, et murmura simplement
: « Merci, maman » avant de sombrer dans le sommeil.

    En
traversant la ville pour aller au deuxième rendez-vous chez le
docteur Freud, Adolf H. joua de malchance ; perdu dans ses pensées,
il rata plusieurs fois les correspondances du tramway et fut obligé
de repartir en arrière.
Je
savais que vous seriez en retard, dit simplement Freud en ouvrant la
porte pour mettre un terme aux flots d'excuses que bavait le jeune
homme.
    Adolf
ne releva pas, ravi de s'en tirer avec si peu de reproches. Il
s'allongea.
    Freud
regarda sa montre et s'assit.
Que
voulez-vous me raconter aujourd'hui ?
    Malgré
toute sa bonne volonté, Adolf peinait à trouver une
seule idée. Son esprit lui semblait une grande maison vide,
privée de ses meubles, de ses tableaux, avec des murs de
plâtre d'un blanc de neige. Il y errait sans rien remarquer ni
sans rien pouvoir saisir.
    Plusieurs
fois, il voulut commencer une phrase mais au bout de deux ou trois
borborygmes, il s'arrêtait, incapable de continuer, voire un
peu effrayé.
    Le
docteur Freud, patient, ne semblait pas étonné de ses
grands silences.
    Après
un temps de gêne infinie, Adolf se tourna vers lui, le fixa
dans les yeux et articula très clairement :
Je
suis désolé.
Ce
n'est pas grave. Cela aussi, je l'avais prévu.
    Adolf
commençait à comprendre le petit jeu du docteur Freud :
celui-ci prétendait avoir tout deviné — les
accidents, les oublis, les retards, les silences — après
que les choses étaient arrivées. Facile ! On ne pouvait
pas le démentir et, si l'on était naïf, on pouvait
même l'admirer pour sa perspicacité. Il jouait les
savants à peu de frais.
La
prochaine fois que vous prévoyez quelque chose, docteur
Freud, prévenez-moi. Que je puisse vérifier vos
prédictions.
Eh
bien, je prévois qu'à la fin de cette séance,
vous allez me détester.
    Ça,
ce n'est pas très difficile à prévoir. Il me
tape déjà pas mal sur les nerfs.
    Puis,
se rendant compte qu'il lui donnait malgré lui raison, Adolf
H. se força à s'adoucir.
Comment
continuons-nous, docteur ?
Pouvez-vous
me raconter un rêve ?
Je
ne rêve pas, je vous l'ai déjà dit

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