La passagère du France
l’avais prévenu, Gérard, c’était une mauvaise idée qu’il travaille avec toi sur ce bateau, il va te bouffer la tête, tu ne vas penser qu’à lui.
Quand elle comprit que tout cela pourrait retomber sur Gérard, Chantal décida de dire la vérité. Elle ne voulait pas que l’on puisse reprocher quoi que ce soit à son frère qui était désormais sa seule famille. Or, le seul avec qui Andrei avait un véritable lien, c’était Gérard. Quelque chose de la même nature que ce qui avait lié son père, l’ancien militant communiste de la section du Havre, à l’enfant de Russie, liait maintenant Gérard et Andrei. Ils avaient le même âge et, Chantal le soupçonnait, le même secret.
— Gérard n’a pas eu tort, dit-elle vivement. Et Andrei n’y est pour rien. C’est à cause d’une passagère.
Et, devant les yeux éberlués de Michèle, Chantal raconta l’anecdote de Béatrice qui l’avait remise en place avec mépris pour cette histoire de « souper ».
— Et tu te mets dans cet état pour ça ? Toi ! Michèle n’en revenait pas. Chantal s’était laissé impressionner par deux pimbêches ! Ça alors !
Une fois la surprise passée, Michèle monta sur ses grands chevaux. Comment ça ! Une prétentieuse qui n’était même pas en première classe venait leur donner des leçons de vocabulaire ! Mais pour qui elle se prenait ?
— Et qui c’est, celle-là ? Quel est le numéro de sa cabine ?
Chantal avait horreur des esclandres. Elle minimisa Parfaire.
— Écoute, Michèle, ne faisons pas d’histoires, à quoi bon ?
— Comment ça, à quoi bon ! C’est le premier voyage et déjà il y a des emmerdeuses ! Non mais ! il ne faut surtout pas se laisser faire, parce que, ces filles-là, je les connais, moi. Si tu ne leur remets pas les idées en place dès le début, elles te prennent pour une serpillière. Donne-moi le numéro de leur cabine.
— Mais tu sais, une seule des deux a été désagréable, l’autre a été très aimable.
— Eh bien tant pis pour elle. Elle n’a qu’à pas être amie avec une pimbêche. Elles doivent être de la même trempe !
Chantal comprit que Michèle s’acharnerait. Car s’il y avait bien une chose que Michèle ne supportait pas, c’était qu’on prenne le petit personnel de haut.
— Bien, bien, fît-elle à contrecoeur, c’est la cabine 324. Mais... qu’est-ce que tu vas faire ?
— T’inquiète pas, je vais trouver. Elles vont l’avoir où je pense, leur « dîner » ! dit Michèle, satisfaite, en notant le numéro en grosses lettres rouges dans le coin de la première page du carnet de commande des clients.
9
Le jeune gradé n’en pouvait plus.
Il avait monté les marches quatre à quatre en courant et il arriva devant la porte de la passerelle où se tenait l’état-major tout essoufflé. Il reprit sa respiration, rajusta sa casquette et frappa.
— Oui ? dit une voix depuis l’intérieur. Le jeune entra, au garde-à-vous :
— Mon commandant, le commissaire principal souhaite vous parler. C’est urgent.
— Que se passe-t-il ?
— Je crois savoir que c’est pour le dîner.
— Le dîner ! Mais, tout est déjà prévu. Le jeune gradé insista.
— C’est important, mon commandant.
Le premier dîner aurait lieu dans quelques heures et il y avait déjà des problèmes, pensa le commandant. Ça commençait bien ! Comme s’il n’y en avait pas eu assez avec cette journaliste qui s’était perdue et avait mobilisé tout le service des ponts. Agacé, il quitta la passerelle.
Parmi les soucis quotidiens d’un commandant de bord, celui d’organiser le plan de sa table était loin d’être anodin. Tous les passagers voulaient s’y asseoir. C’était un signe de reconnaissance sociale prestigieux. Hélas, il n’y avait que douze places, au mieux. Chaque fois, c’était un casse-tête. Mais aujourd’hui les difficultés étaient multipliées par mille. Tous les voyageurs de cette première traversée du France étaient des gens importants qu’il ne fallait blesser sous aucun prétexte. Dès avant le départ, les noms des heureux élus étaient déjà inscrits. Seulement, le commissaire avait eu d’autres demandes émanant de hautes personnalités. L’enjeu était tel qu’il avait fallu organiser une réunion de dernière minute pour résoudre l’épineux problème.
— Surtout, dit le commandant au commissaire après qu’on lui eut expliqué la situation, vous
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