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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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cria-t-elle, enthousiaste.
    Le jeu reprit alors de plus belle. Ils étaient un petit groupe à jeter ainsi tour à tour bouteilles vides et verres bus par-dessus bord. L’initiative les amusait beaucoup.
    Mais pour Sophie la magie du début de soirée était complètement gâchée. Le Champagne consommé en excès avait fini par faire tourner les têtes, et les comportements des uns et des autres sur cette terrasse devenaient à ses yeux déplaisants. Elle quitta la terrasse et rentra dans le bar.
    — Quels idiots, pensa-t-elle, contrariée, avec eux tout devient ordinaire.
    Une fois les portes coulissantes de verre franchies et refermées, le confort douillet de l’intérieur du bar et la Voix d’Ella Fitzgerald l’enveloppèrent de cette atmosphère luxueuse qu’elle aimait tant.
    Enfin ! se dit-elle en frissonnant de plaisir, ici au moins on sent bien qu’on est dans un autre monde.
    Des femmes élégantes fumaient de longues cigarettes, des hommes en smoking noir leur souriaient. Dans un Coin, ses confrères étaient en pleine discussion. Elle s’approcha et s’installa près d’eux dans un confortable fauteuil, prenant soin de positionner élégamment ses jambes de côté tel qu’elle avait vu Anouk Aimée le faire. Hélas elle déchanta rapidement et, à peine assise, elle comprit ion erreur. Deux confrères se renvoyaient à la figure, sur un ton acerbe, des avis différents sur une actualité des plus graves et des plus douloureuses, l’Algérie.
    — Les Français d’Alger sont trahis et abandonnés, vociférait l’un. On ne tient plus l’armée. Jamais les Français n’ont été aussi divisés depuis le début des événements. On va tout droit vers un coup d’État.
    — Tu parles des « événements d’Algérie » comme si ça te dérangeait d’employer le mot de « guerre », rectifia un confrère. C’est une guerre, il faut appeler les choses par leur nom !
    — Parlons-en ! crut bon de préciser l’autre, en haussant le ton comme s’il y avait urgence d’en découdre. Une déclaration de guerre est un traité. Il faut avoir la capacité juridique de le signer. Seuls peuvent faire la guerre ceux qui ont la personnalité juridique de droit international. L’Algérie ne l’a pas, j’insiste. Il te manque une connaissance solide des termes juridiques et de leur valeur.
    — Il ne me manque rien, rétorqua l’autre, piqué d’être mis en cause sur ses compétences. Mais j’ai une autre interprétation. Ce n’est pas parce que la qualité d’État n’a pas été reconnue à l’Algérie avant la colonisation qu’elle n’était pas un État souverain. Nous sommes dans le politique et ces événements, que tu le veuilles ou non, c’est une guerre d’indépendance.
    Le ton commençait à monter et ils s’y étaient mis à plusieurs, les confrères étrangers n’étant pas les derniers à donner un avis.
    Sophie soupira. La voix sensuelle d’Ella Fitzgerald et les douces lumières tamisées étendaient en vain leur magie sur tout le bar, ils étaient partis pour de longues heures de débat. Sophie ne comprenait pas cet acharnement à parler de ces événements terribles en un pareil endroit et à minuit passé, verre de whisky à la main et cigare à la bouche. Être en voyage sur le France ne changeait rien à leurs habitudes professionnelles. Au contraire, ils utilisaient toutes les nouveautés que le navire mettait à leur disposition en matière de communication. À les entendre, Sophie comprit qu’ils avaient écouté la radio en permanence, et téléphoné plusieurs fois à leur rédaction en utilisant le téléphone de leur cabine, luxe d’entre les luxes. À peine installés sur le bateau, les plus acharnés à se faire inviter sur le France ne s’occupaient plus que de ce qui se passait à terre comme s’ils avaient peur de rater quelque chose d’encore plus important que ce qu’ils étaient en train de vivre.
    Sophie en eut assez. Avec la musique, ils parlaient de plus en plus fort pour s’entendre et elle ne profitait de rien. Elle s’apprêtait à quitter les lieux et à regagner sa cabine quand une équipe de télévision entra dans le bar. Il se produisit un mouvement d’admiration général et la conversation s’interrompit. Le réalisateur François Reichenbach tournait un reportage pour la Compagnie transatlantique. Que venaient-ils filmer à cette heure ? L’équipe installa des éclairages, des câbles, un gros pied et une énorme

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