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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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chute du père dans la dépression et l’alcool. Elle lui attribuait tous les malheurs de la famille. Gérard connaissait la vérité et Chantal était loin du compte. Seuls lui, son père et Andrei savaient ce qui s’était réellement passé là-bas, en Russie. Mais le père avait décidé que personne d’autre ne devrait jamais l’apprendre. Pas même sa femme et sa fille. Gérard avait respecté le voeu de son père, et Chantal, se sentant exclue de quelque secret, en voulait encore davantage à Andrei.
    — Je pensais voir ma soeur au repas, dit-il négligemment, croyant qu’à force de parler d’elle à son ami, et de lui à Chantal, des liens pourraient se créer entre eux. Je suis sûr qu’elle est aux anges ! Une place pareille !
    Mais Andrei ne relançait jamais la conversation sur Chantal. Gérard ne pouvait pourtant s’empêcher d’essayer ; il lui semblait que son ami n’était peut-être pas insensible au charme de sa soeur.
    Soudain, un bruit sourd résonna. Andrei fit signe à Gérard de se taire, et ils tendirent l’oreille. Le choc se répéta, il semblait provenir de la chaufferie. Puis plus rien, on n’entendait plus que le ronflement infernal des machines de chauffe. Andrei haussa les épaules et ils se remirent au travail, quand le même bruit recommença, plus violent cette fois.
    — On dirait que ça vient de la coque, fit Gérard, inquiet, en collant son oreille contre l’acier du navire. Qu’est-ce que ça peut bien être ? On ferait mieux d’aller voir.
    Avec beaucoup de difficultés, ils réussirent à ouvrir la lourde porte qui donnait sur la coque. Le vent de l’océan s’engouffra d’un coup dans la chaufferie, les obligeant à se reculer. Avec prudence et en s’accrochant aux bords de l’encadrement, ils parvinrent à se pencher à l’extérieur pour tenter de voir ce qui se passait. Un choc lourd et un bruit de verre cassé se firent nettement entendre cette fois, et quelque chose qui semblait tomber du ciel heurta le crâne d’Andrei : un morceau de verre. Sonné, il eut le réflexe de se replier vers l’intérieur du bateau, tandis que Gérard, relevant la tête pour comprendre d’où cela provenait, prit en plein visage une bouteille de Champagne vide qui lui explosa le nez et l’arcade sourcilière. Sous la violence du choc et de la douleur, il vacilla et manqua tomber dans le vide. Il serait allé mourir dans les eaux noires et glaciales si Andrei n’avait eu le réflexe de l’agripper par le dos de son bleu de travail et de le tirer à lui. Ils restèrent un moment assommés et effrayés. À cette vitesse, si Gérard avait chuté, on n’aurait pu freiner le navire que sur une longue distance et, à cette heure de la nuit dans les eaux glacées, c’était la perdition et la mort assurée. Sur l’instant Gérard ne ressentit pas la douleur, et sa colère éclata aussitôt.
    — Putain ! hurla-t-il en essuyant d’un revers de sa large main son visage baigné de sang, mais d’où elles viennent, ces bouteilles !
    Andrei réfléchit.
    — À mon avis, ça vient du bar de l’Atlantique ! Ils cassent des bouteilles et des verres. Ils doivent fêter le voyage à la russe ! fit)
    — Quoi, à la russe ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Et ils balancent des bouteilles cassées contre la coque ! Une coque pareille, mais ils vont la bousiller ! Ils se prennent pour qui d’oser faire une chose pareille ? Attends un peu, tu vas voir...
    Hélas pour lui, Gérard était encore sous l’effet du Champagne dont il avait un peu abusé. L’idée qu’on puisse abîmer la coque de son navire le mit hors de lui. Gérard allait jusqu’à essuyer avec son propre mouchoir la moindre goutte d’huile qui débordait sur le goulot de la chaufferie, et il aurait nettoyé de sa propre chemise la moindre poussière. Lui qui admirait jusqu’au moindre détail du France, il se sentit rempli de fureur contre ces inconscients qui le profanaient. Aveuglé par le sang qui coulait abondamment de son front, devant les ouvriers stupéfaits qui étaient encore méticuleusement plongés sur les vérifications des manomètres et des instruments de mesure, il courut vers les escaliers de fer et monta à la surface du navire. Andrei n’eut pas le temps de l’arrêter. Gérard grimpa les quatre étages d’un seul tenant, il ouvrit la lourde porte et partit droit devant lui en criant, cherchant à rejoindre le bar pour trouver le coupable.
    — Tu vas

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