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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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révolter contre le passé ne servait à rien, si ce n’est à se fracasser. Dans la ligne stricte de l’obéissance au service de l’État il trouva une certaine grandeur, peut-être même une certaine paix.
    Un vent glacial s’était levé. Il prit une longue inspiration. Le France avait atteint ses quatre-vingts noeuds, on était déjà à une centaine des côtes.
    « ... Les remorqueurs crochent Taussière pour virer Et la nuit d’Australie pleine d’étoiles, enveloppe le quai noir de Wooloomooloo... »
    Les mots. L’officier aimait la beauté des mots qui calmaient les doutes, comme ces vers du poète marin Louis Brauquier.
    Le froid avait traversé l’épaisse laine de sa gabardine marine. Il la serra contre lui et releva le col. La nuit était froide et belle. Mais ce serait de courte durée. Il s’était renseigné sur les prévisions météorologiques, avait fait mesurer l’oscillation par altimétrie et savait que le temps allait se gâter. Sous l’influence des variations de pression, les houles de l’Atlantique Nord pourraient devenir de véritables murs dépassant les douze mètres, et les vents souffleraient comme des ouragans. Il faudrait être en forme et vigilant. Il se dit qu’il était temps d’aller dormir et quitta le pont. En s’approchant des portes qui menaient à la coursive intérieure, il entendit de la musique. Elle avait été jusqu’alors couverte par le vent qui emportait les notes vers l’arrière du navire. Il comprit que cela venait du bar de l’Atlantique, juste au-dessus. Il tendit l’oreille, on jouait un twist. La fête avait l’air de battre son plein. Pierre Vercors n’était pas un assidu des bars, ni des boîtes de nuit à la mode. Le seul bal qu’il ait jamais connu était celui de son école Navale, et encore, il n’y avait dansé qu’à regret. Mal à l’aise, il s’était senti inélégant et gauche. Quelque chose l’éloignait de la jeunesse de son temps et il ne comprenait pas vraiment quoi. Cela tenait à une sorte de joie qui ne le gagnait pas. Il aurait aimé parfois se joindre à ceux de son âge, être aussi insouciant. Mais il n’y arrivait pas.
    Il se sentait investi de ce fameux devoir qui le tenait rigide. Il était l’enfant d’une famille où le bonheur ne se manifestait pas. Sauf parfois fugitivement, du temps où son père était jeune et vivant. Le plus souvent il était heureux d’être ainsi, mais, parfois, cette distance avec la jeunesse de son temps lui faisait un peu mal. Il doutait.
    Un éclat de rire le sortit de ses pensées. Sur le pont, juste au-dessus de lui, contre la balustrade, un homme tentait d’embrasser une jeune femme blonde qui riait en se débattant mollement. Quand l’homme y parvint, l’officier sentit une pointe au fond de son coeur. Il y avait eu très peu de femmes dans sa vie, et jamais il n’avait eu avec elles l’insouciante aisance qu’il devinait dans l’attitude de cet homme. Il respira une dernière bouffée de vent. A quoi bon penser à tout ça. Il n’était pas comme eux, voilà tout.
    Il jeta machinalement un coup d’oeil à l’océan, puis se dirigea d’un pas énergique vers la porte qui menait aux coursives.

 
    17
    Sophie n’avait même pas pris le temps de remettre ses escarpins.
    A une heure du matin elle n’allait pas rencontrer grand monde, alors à quoi bon ? Elle avait cherché à convaincre Béatrice de rentrer avec elle, en vain. Le photographe venait de lancer un concours de twist et, partis comme ils étaient, ils y passeraient toute la nuit. Sophie avait eu du mal à s’arracher de leurs griffes et maintenant elle avait hâte de se blottir dans son lit. Chubby Checker l’avait vidée. Épuisée, mais heureuse, elle sautillait encore dans la coursive tout en fredonnant « Let’s Twist again » quand elle poussa un cri et s’arrêta net.
    Devant elle un homme gisait au sol. Agenouillée près de lui, une jeune femme regardait deux hommes s’éloigner rapidement à l’autre bout de la coursive. Le cri la fit sursauter et elle se retourna. Sophie reconnut la jeune serveuse qui était venue dans leur cabine au début de la soirée.
    — Ah ! fit Chantal, vous m’avez fait peur, je croyais que c’était le médecin, je l’attends.
    Sophie n’eut pas le temps de la questionner. Au bout de la coursive, la porte du pont supérieur s’ouvrit sur un officier au moment où les deux inconnus s’engouffraient sur la droite dans les escaliers de service.

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