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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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entre ce soir et demain, alors profitons aussi. Venez !
    L’Académicien fit un signe négatif et l’Américain, déçu de n’avoir pas su le convaincre, ouvrit les portes de verre et sortit sur la terrasse suivi par tous les clients du bar. Le brouhaha était à son maximum. Les bouchons de champagne sautaient les uns après les autres, les bouteilles se vidaient et les serveurs étaient débordés. On ne s’entendait plus.
    Sophie n’avait pas bougé de son siège, indifférente à l’euphorie. Elle n’avait aucun goût pour les ambiances « arrosées ». Du voyage sur ce navire elle attendait autre chose.
    L’Académicien l’observait et réfléchissait aux paroles de l’Américain. Il réalisait que son milieu changeait plus qu’il ne l’aurait cru. De jeunes journalistes étaient arrivés, plus vindicatifs, plus insolents que lui ne l’avait jamais été. Des idées nouvelles apparaissaient sur la société, la façon de vivre. Ils remettaient tout en cause facilement. Tout n’était pas mauvais ni inutile, mais l’Académicien ne s’y faisait pas. Il trouvait leur revendication de liberté bien dérisoire, et leurs remises en cause assez anecdotiques sur le fond. Lui croyait en des vertus anciennes. Il aimait la rigueur de certaines règles, quitte à y perdre un peu de liberté. Il se méfiait d’ailleurs de ce mot brandi comme un drapeau à tout bout de champ. Mais il sentait bien que l’époque naissante ne lui donnerait pas raison. Les années i960 marquaient un tournant radical. « Pour le meilleur et pour le pire », se disait-il. Que faire ? Il se sentait impuissant et dépassé, isolé avec son élégance que l’on jugeait agréable mais surannée. Il était comme un objet de brocante, au mieux d’antiquité, sur lequel on jette en passant un oeil attendri, mais qui lasse.
    Les danseurs allaient et venaient sans cesse du bar à la terrasse, faisant glisser les portes de verre. L’Académicien s’était déjà levé trois fois en râlant pour aller les fermer. En vain, ils les rouvraient en permanence.
    — Permettez que je vous quitte, Sophie, dit-il, vaincu. Je vais aller dormir. De toute façon je ne fais pas un bon partenaire de soirée, je suis trop grincheux. Peut-être suis-je vieux.
    Sophie, par politesse, crut bon de le rassurer :
    — Vieillir ! Mais non, vous avez l’esprit bien trop vif.
    — Tiens, fît-il, étonné et heureux qu’elle prenne le temps de lui répondre gentiment, alors que visiblement clic n’était pas d’humeur et dormait à moitié. C’est amical de votre part. Mais allez vous coucher vous aussi, vous tombez de sommeil.
    Il devinait tout en lui parlant que cette Sophie n’était pas encore gâchée par les « tics » du milieu, et il se demandait combien de temps encore l’éducation de ces familles provinciales qu’il décelait en elle tiendrait le coup face à la vague montante des libertés nouvelles dont il mesurait par anticipation les dégâts sur l’attitude de ces jeunes femmes qui, sur la terrasse, buvaient sans mesure. Dehors le champagne coulait à flots et le barman connaissait son métier. Euphorisé par la fête et les pourboires en dollars qui tombaient les uns après les autres, il augmenta la pression et déposa sur la platine le tube de Chubby Checker, sûr de son coup.
    « Come on everybody... »
    Les premières notes déclenchèrent une vague de hurlements et des trépignements. Le Noir américain avait une telle énergie qu’il était impossible de ne pas suivre son appel à se trémousser au dernier rythme qui faisait fureur sur toutes les pistes de boîtes de nuit et de bals du monde : le twist. Le barman fit claquer ses doigts et se mit à se dandiner. Il affichait un large sourire qui rayait son visage d’une oreille à l’autre.
    « Clap your hands... Now you’re looking good... I’m gonna sing my song and you won’t take long. »
    Sophie se leva d’un bond.
    « ... We gotta do the twist and it goes like this... »
    La voix puissante de Chubby Checker, avec cette légère pointe nasillarde typique des New-Yorkais, elle adorait.
    « Come on... let’s twist again like we did last summer... »
    Elle se mit à chanter en mesure les paroles qu’elle connaissait par coeur à force de les avoir entendues sur toutes les ondes de toutes les radios et s’élança sans complexe entre les fauteuils du bar de l’Atlantique, rieuse à son tour, emportée par la gaieté et l’énergie du twist. Le

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