La passagère du France
Est-ce qu’elles leur donnaient des conseils pour leurs articles ?
Mais Béatrice la devança. Elle avait tellement en travers l’allusion du photographe qui avait laissé croire qu’elle aurait passé la nuit avec lui alors qu’il n’en avait rien été, qu’elle sauta sur l’opportunité de démentir.
— Nous ne parlerons ni de robes ni de bijoux. J’ai déjà écrit un papier sur les cuisines du France. Les chefs ont préparé par avance pour le dîner de ce soir de grands desserts avec d’immenses noeuds en sucre de toutes les couleurs. Ils ont aussi sculpté un bloc de glace pour servir le caviar. J’ai écrit l’article cette nuit en rentrant dans ma cabine après la fête sur la terrasse, et je l’ai téléphoné tout à l’heure à la rédaction, précisa-t-elle en insistant pour bien faire comprendre où elle avait passé la nuit. D’où ma fatigue de ce matin.
Aux sourires condescendants qu’affichaient les confrères, Sophie voyait que Béatrice s’enfonçait avec son histoire de noeuds en sucre, alors qu’elle disait la vérité. Pendant ce temps, l’Académicien s’était fait servir un thé de Chine. Il était plongé dans la dégustation de viennoiseries qu’il trouvait succulentes, au vu des mimiques qu’il faisait en les absorbant. Mais il réfléchissait à autre chose.
— Au fait, mon jeune ami... dit-il soudain, ignorant la réponse de Béatrice et s’adressant au journaliste. A-t-on dit pourquoi ce passager avait eu une crise cardiaque ?
— Non, et je m’en moque, répondit l’autre. C’est la première médicale, le sujet, pas la crise cardiaque.
L’Académicien hocha la tête, il avait oublié Béatrice et se fichait visiblement de la réponse à la question qu’il lui avait posée. Exaspérée de ce mépris, Sophie explosa :
— Ce qu’on dit vous intéresse manifestement beaucoup, dit-elle d’un ton vif.
— Mais qu’est-ce qui vous prend ? rétorqua le journaliste, tout en enfournant un croissant.
— Et vous continuez à vous gaver de croissants en vous imaginant que vous faites tourner le monde. Bientôt vous ne tournerez plus que sur vous-même vu ce que vous ingurgitez !
Très ennuyé de ce coup d’éclat qui faisait se tourner les regards des autres passagers vers eux, l’Académicien allait à son tour tenter de se défendre en minimisant la querelle, quand Sophie reprit la parole :
— Au fait, pour cette nuit, vous êtes tous très loin de la vérité sur cet accident. Moi, j’y étais.
Et elle se leva :
— Si on allait à la piscine ? dit-elle à Béatrice. Il paraît qu’elle est magnifique, ça nous ferait du bien après tout ce qu’on a mangé hier.
Béatrice se leva d’un bond.
— Quelle bonne idée ! Allons-y tout de suite.
Elles quittèrent les lieux, complices, sous le regard perplexe des deux hommes qui regrettaient déjà leur élégante compagnie.
— Je ne comprendrai jamais les femmes, soupira le journaliste. On les adore et on ne leur demande que de nous éblouir et de nous mettre à leurs pieds avec leur grâce et leur beauté. Or, elles veulent jouer aux mêmes jeux que nous, faire les grandes enquêtrices. À quoi bon ?
— C’est peut-être qu’elles n’ont aucune envie de voir les hommes à leurs pieds, conclut l’Académicien, malicieux, tout en portant à ses lèvres la tasse de thé fumant. Elles les préfèrent debout.
21
— Tu as vu comme ils sont agressifs ! dit Béatrice en s’éloignant. Ils sont incapables de parler d’autre chose que de travail.
— Surtout du leur, corrigea Sophie. Comme s’il était urgent d’aller chercher midi à quatorze heures sur ce bateau. Ils font du zèle, comme toujours.
— Pourquoi tu leur as dit que tu avais assisté à l’accident du passager cette nuit ? C’est vrai ?
— Penses-tu, j’ai dit ça pour les faire taire. Et toi ? Tu as dit que tu écrivais un papier alors que je t’ai vue dormir. C’est à cause de cet idiot de photographe qui voulait laisser croire que tu avais passé la nuit avec lui ?
— Oui. Quel menteur, celui-là. Sous-entendre qu’il s’est passé plein de choses alors qu’il n’y a rien eu de plus qu’un petit flirt sur la terrasse. Quel goujat !
— Laisse tomber, passons à autre chose. On n’a qu’à les éviter. Et la prochaine fois que tu bois un peu trop de Champagne, ne le bois pas avec n’importe qui. Viens, allons nager.
Béatrice s’étonna de ce désir soudain.
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