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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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ne trouvent pas lequel de nous les y a mis, il faut affirmer que personne n’a quitté son poste.
    — Et comment on fait ?
    — On doit tous se blesser d’une façon ou d’une autre. Ils ne doivent pas trouver à qui appartient le sang sur la moquette. Ils doivent douter.
    Les hommes avaient à peine eu le temps de comprendre ce qui s’était réellement passé, et voilà que déjà Andrei leur donnait des ordres.
    — Mais... avança un mécanicien, comment on va justifier ça ?
    — On n’a rien à justifier.
    — C’est un peu court.
    — Plus c’est court, mieux c’est. Ce sont les faibles qui s’expliquent.
    Un silence pesant suivit cette étrange affirmation. Andrei n’était encarté à aucun parti ni à aucun syndicat, et voilà qu’il parlait avec une autorité si soudaine que c’en était presque dérangeant.
    — Moi je ne crois pas qu’on soit faible parce qu’on s’explique, au contraire, avait dit alors calmement un mécanicien. Nous, on est du côté de Gérard et on veut le défendre, mais pas comme tu le dis. Il y a des moyens légaux plus simples.
    — Lesquels ?
    — Le syndicat.
    — Surtout pas !
    — Et pourquoi ? Tu as quelque chose contre ?
    Le mécanicien s’attendait à une critique en règle des syndicats et s’apprêtait à y répondre fermement. Mais Andrei avait autre chose en tête.
    — Il ne faut surtout pas créer de conflit entre le syndicat et la direction du France. Sous aucun prétexte ! Le France ne le mérite pas. On doit régler le problème en amont, entre nous.
    Sortir des directives habituelles, des encadrements syndicaux, ce n’était pas dans les manières de ces hommes, professionnels de haut niveau convaincus de discipline et d’organisation. Pourtant, Andrei avait visé juste. Pour le France ils étaient prêts à aller très loin. Aucun d’eux n’aurait supporté que ce voyage prestigieux pour le pays tout entier et pour les hommes des chantiers tourne au conflit. Les combats entre syndicats et direction, la défense des intérêts des uns ou des autres, ici ce n’était plus la priorité. La priorité, c’était le France. Le paquebot les avait arrachés à la banalité du quotidien, il était un idéal, une perfection. L’harmonie la plus réussie de la technique et de la beauté. Aussi, à la seule pensée de ternir son image, ils étaient prêts à faire beaucoup d’efforts, et même des sacrifices.
    — Andrei a raison, dit alors le mécanicien touché par l’argument. Ça ne servirait à rien de créer un conflit et, s’ils décident de débarquer Gérard, il y en aura forcément un. Autant affirmer tout de suite qu’il ne s’est rien passé même si... ça risque d’être difficile. On connaît tous Francis au syndicat, c’est un dur et, à l’état-major, ils sont coriaces. Pour le France, la compagnie n’a pas recruté de mauviettes.
    — Si on fait bloc et qu’on ne dit rien, reprit Andrei, ils n’auront aucun point d’appui, aucune prise. Le syndicat sera hors d’atteinte puisqu’il ne sera pas maître du jeu. Je suis sûr que, si on tient bon, ils laisseront l’affaire de côté rapidement. Ça les arrangera parce que c’est la meilleure solution pour le bien du France. Le seul souci, c’est le malade. Mais si par chance il s’en sort, il n’y aura rien eu de grave. Et il va s’en sortir.
    Les dix de la bordée se rangèrent à l’argument. Mais quelque chose les tarabustait. Ils avaient toujours connu Andrei secret, distant, et ils le découvraient sous un tout autre jour. D’où lui venaient cette force et cette détermination à défendre Gérard ?
    Montrant l’exemple, il retourna à sa machine et, sans avertir, d’un coup de tête contre la masse d’acier, il fit éclater son arcade sourcilière. Le sang jaillit. Il serra son front avec un grand mouchoir à carreaux qu’il sortit de sa poche puis, comme si rien ne s’était passé, il se mit au travail.
    Ce geste inattendu et brutal impressionna très fortement les hommes. Dans leurs yeux, on pouvait lire une admiration entachée d’inquiétude. Mais tous firent comme lui.
    Ce matin, en repensant à cette scène de la veille, Gérard observait Andrei. Rien ne semblait le toucher ou même l’émouvoir. Pourquoi ce revirement si brutal ?
    Andrei se leva et s’approcha des vitres. À la surface de l’océan affleuraient de petites vagues mousseuses de surface. Petites touches blanches sur un gris vert profond, tour à tour

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