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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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jambes commençaient à la lâcher. Ce qu’elle avait entendu l’avait profondément secouée. C’est alors qu’elle entendit la clé tourner dans la serrure, la porte s’ouvrir et claquer violemment.
    — Chantal !
    Au cri poussé par Gérard, Sophie comprit que Chantal venait de sortir. Elle espérait qu’ils allaient la suivre, pour qu’elle puisse enfin quitter cette affreuse situation et faire cesser cette crampe, quand Andrei parla à nouveau.
    — Va voir ta soeur et calme-la. Elle souffre.
    — Tu entends, Gérard, va voir Chantal. Il ne faut pas la laisser seule, elle a mal.
    — Ce n’est pas une raison. Toi aussi, tu souffres, et moi aussi. Putain de putain ! On l’aime ce bateau, c’est le nôtre, on se l’est gagné ! Qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’on s’en moque ?
    — Va la voir, je te dis. Va l’apaiser.
    — Et toi ?
    — Je te rejoins.
    À nouveau la porte s’ouvrit et se referma puis, à nouveau, le silence. Elle crut qu’Andrei allait partir après Gérard, qu’il attendait juste un peu. Mais les minutes passaient et elle n’entendait rien. Était-il toujours là ? Que faisait-il ? Tant que Chantal et Gérard étaient là elle n’avait pas eu peur de lui, mais maintenant qu’elle se retrouvait seule, une angoisse la gagnait. Elle priait le ciel pour qu’il parte vite et ne la trouve pas. Cet homme l’avait bouleversée avec son histoire, mais elle n’oubliait pas qu’il était aussi celui qu’elle avait surpris à tirer un couteau de sa poche. Elle se retint de respirer. Le silence était total, et elle ne l’entendait toujours pas. Bientôt elle n’y tint plus. Le plus doucement possible, tout en tremblant, elle écarta légèrement le rideau. Andrei était assis, la tête dans les mains. Soudain, il la releva et elle se replia rapidement derrière le rideau. L’avait-il vue ? Persuadée qu’il allait venir la tirer de là, et peut-être lui donner un coup de couteau et se débarrasser d’elle, elle paniqua. Les idées les plus folles se bousculèrent dans sa tête. Cherchant à toute vitesse ce qu’elle allait bien pouvoir dire pour le calmer et le convaincre de la laisser en vie, elle fut tout étonnée quand elle l’entendit. Il parlait doucement, en russe, en rythme régulier, comme une mélopée. C’était beau et émouvant, et au fur et à mesure, en l’écoutant, elle retrouva son calme. Ces paroles lui rappelaient quelque chose de sa propre enfance quand, le soir avant d’aller se coucher, sa grand-mère leur faisait réciter à elle et à ses soeurs une litanie de « Je vous salue Marie » et de « Notre Père ». En repensant à ses propres souvenirs d’enfance et en ré-entendant ces phrasés si particuliers des litanies, elle comprit qu’Andrei priait. Il aurait pu prier en chinois, en américain, en arabe ou en turc, Dieu, Allah, Mahomet ou Bouddha, le dieu des arbres ou des océans, elle aurait reconnu la prière. C’était la même mélancolie, et sans doute aussi le même abandon. Elle ne put s’empêcher de tirer légèrement le rideau. Andrei fixait la flamme jaune sur le mur de laque rouge, à l’opposé de là où elle se trouvait. Elle vit son profil aigu et l’entaille qui barrait sa joue. Il resta ainsi quelques instants, puis il sortit en refermant la porte doucement derrière lui.
    Sophie put enfin lâcher le rideau, et dénouer ses crampes avec une grimace de douleur.

 
    38
    Quand elle arriva enfin dans l’appartement Provence, Sophie était épuisée et son coeur abîmé. Elle n’avait plus envie de jouer à la star de cinéma. Elle enleva délicatement les lunettes noires qu’elle avait pris soin de mettre en quittant le petit salon pour cacher ses yeux rougis de fatigue. Elle dénoua son foulard Hermès et le posa sur la table basse en verre du salon, puis elle s’affala dans le grand canapé vert olive qui lui tendait les bras.
    Elle entendait encore résonner la voix d’Andrei, son récit, et elle avait gravé dans son esprit ces mots affreux : « J’aurais voulu ne pas leur survivre. »
    Survivre ? Ce mot lui avait rappelé que, même aux plus belles heures de l’existence comme celles que tous les invités vivaient sur ce navire, il y avait au même endroit des êtres qui souffraient. Aucune vie ne ressemble à une autre. Sophie avait toujours cru qu’elle avait une vision claire du monde des humains. Parce que son éducation avait été faite de valeurs simples et qu’elle en

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