La Perle de l'empereur
qu’il espérait passionnante. C’est très joli de veiller jour et nuit sur un trésor mal acquis – avec de loin en loin une escapade pour se procurer de l’argent –, mais à la longue on se lasse. Et Fructueux, fondamentalement sociable, commençait à entrevoir un agréable changement d’existence…
La nuit tombait.
En s’habillant, il jeta un coup d’œil à la maison voisine, vit qu’il y avait de la lumière dans les pièces de derrière mais aucun autre signe d’activité. Pensant qu’il avait mieux à faire, il redescendit à la cuisine, s’enveloppa d’un vaste tablier blanc et se mit à préparer le repas en chantonnant…
Dans la limousine noire qui l’avait cueillie au coin de la rue Rouget-de-l’Isle, « Mina » ne pensait à rien sinon à jouer de la meilleure façon son personnage. Elle ne voyait rien non plus, excepté l’homme qui lui tenait compagnie, car on avait tiré les rideaux sur les vitres, y compris celle de séparation avec le chauffeur. Celui-là devait être de bien belle humeur : elle l’entendait siffloter. Quant à son compagnon, il ne représentait guère qu’un amoncellement de vêtements : pardessus sombre à col relevé, chapeau mou à bords baissés et, entre les deux, une écharpe de couleur indécise remontant jusqu’aux yeux. Il n’avait pas dit un mot non plus, se contentant de récupérer sans douceur excessive la grosse serviette de cuir qu’il tenait à présent contre son cœur avec une sorte de tendresse. Il respirait lourdement avec, de temps en temps, un petit rire qui donnait la juste mesure de sa satisfaction. Celui-là devait entrevoir un avenir aussi brillant que les bijoux enfermés dans le sac. Sa prisonnière espéra sincèrement que cela lui donnerait l’envie de se laver plus souvent : il répandait une odeur de vieux tabac et de sueur que le balancement de la voiture n’arrangeait pas : c’était à vomir !
Incommodée, elle chercha dans les poches de son tailleur – on lui avait aussi pris son sac ! –, trouva un petit mouchoir qui avait été imprégné de parfum et le mit sous son nez pour en respirer l’odeur fraîche et boisée.
Le voyage dura environ trois quarts d’heure.
Vers la fin, le puant écarta légèrement le rideau de son côté puis, sortant un bandeau noir, ôta les lunettes de sa voisine, les glissa dans la poche de poitrine du tailleur – non sans vérifier au passage la fermeté d’un sein, ce qui lui valut une gifle qu’il évita – et noua solidement le bandeau à leur place.
La voiture quitta les pavés, tourna à droite roula sur des graviers qui semblaient présenter quelques aspérités et enfin s’immobilisa. La prisonnière – elle ne s’illusionnait guère sur son statut – en fut extraite par une main vigoureuse guidée jusqu’à un perron dont on lui fit gravir les marches puis, à travers un vestibule dallé, introduite enfin dans une pièce qui sentait très fort la poussière, un peu le moisi et dont le parquet dépourvu de tapis grinça sous ses pas. Là on lui enleva le bandeau et on lui remit ses lunettes. Elle vit alors qu’elle se trouvait dans une sorte de salon pourvu de rideaux de peluche rouge tirés devant les fenêtres, de quelques fauteuils disparates, d’un canapé, de deux guéridons et d’une table à usage de bureau. La lumière pauvre et triste tombait d’un lustre en bronze doré où seulement trois ampoules électriques sur six brûlaient. Derrière le bureau il y avait un homme mince, très brun et entièrement vêtu de noir dont le visage était caché sous un foulard blanc qui ne laissait voir que des yeux très sombres. Elle poussa un soupir et attendit.
L’homme au foulard blanc sortit de derrière la table, vint jusqu’à elle et, de deux gestes synchrones, ôta les lunettes et arracha la cloche de feutre gris. Aussitôt ses yeux noirs flambèrent de colère :
— Vous n’êtes pas la princesse Morosini ! gronda-t-il.
— Je n’ai jamais prétendu l’être, répondit-elle tranquillement. Je suis Mina Van Zelden, la secrétaire du prince…
— J’avais exigé que la princesse vienne elle-même !
— Elle serait venue bien volontiers mais, avec une jambe dans le plâtre et deux côtes cassées, ce n’est pas très commode. Il faudra vous contenter de moi… et de ce que je vous apporte ! fit-elle en désignant de sa main gantée la serviette que le puant avait l’air de bercer.
Sans mot dire, l’homme au foulard
Weitere Kostenlose Bücher