La Perle de l'empereur
enleva la lourde sacoche de cuir, la posa sur la table et entreprit de l’inventorier. Les sacs de peau révélèrent l’un après l’autre leur contenu : une parure d’améthystes et de diamants ayant appartenu à la Grande Catherine, le ravissant bracelet de Mumtaz Mahal (13) , deux colliers de diamants dont l’un avait orné – brièvement – le cou de Christine de Suède et l’autre celui de M me de Pompadour, des pendants d’oreilles de toutes sortes et de différentes provenances, d’autres bracelets, des bijoux destinés à épingler un chapeau, des perles aussi quand elles étaient associées à des pierres précieuses, et puis des bijoux plus modernes mais somptueux, ceux qui appartenaient à Lisa Morosini. Bientôt s’amoncela sur la table un tas scintillant qui s’emplit de fulgurances quand l’homme alluma au-dessus une forte lampe de bureau.
Il les caressait avec une avidité que « Mina» jugea écœurante. Il en prenait un, le reposait, en prenait un autre, revenant au premier comme s’il s’agissait pour lui de choisir. Une femme chez un bijoutier devait se conduire de cette façon-là.
— Vous êtes satisfait ? reprit la voix brève de « Mina ». Alors maintenant rendez-moi mon patron !
L’homme s’arracha à sa contemplation et vint vers elle en faisant tourner autour de son index un bracelet d’opales et de diamants qui avait appartenu à l’impératrice Joséphine :
— Désolé, mais je n’ai que la moitié de ce que j’ai demandé. La collection est là et je vous remercie de me l’avoir apportée, mais je veux aussi la princesse…
— Mais je vous ai dit que…
— Qu’elle est clouée au lit pour quelque temps. Eh bien j’attendrai !… Lui aussi d’ailleurs, ajouta-t-il avec une intonation haineuse qui fit frissonner la fausse secrétaire. Évidemment, dans la position qui est la sienne, il vaudrait mieux que sa femme guérisse vite. Si solide qu’il soit, un organisme humain peut toujours flancher mais, étant donné la preuve de bonne volonté que l’on vient de me donner, je ne mettrai pas à exécution ma menace de diminuer la nourriture en proportion du temps écoulé.
— Je veux le voir !
— Cela ne me paraît pas indispensable. Je tiens à ménager votre sensibilité, ma chère. Je ne l’ai pas vu depuis un moment mais il ne doit pas être agréable à contempler… Alors, voilà ce que nous allons faire : le prochain train pour Venise part…
Il alla chercher un indicateur des Chemins de fer et le feuilleta jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il cherchait :
— Voilà ! Il part demain soir de la gare de Lyon. Alors, en attendant, nous allons vous garder ici afin que vous puissiez prendre quelque repos et demain nous vous ramènerons à la gare et resterons avec vous… ou plutôt quelqu’un vous accompagnera jusqu’à Venise : une femme, soyez tranquille, et qui nous est toute dévouée. Elle pourra ainsi veiller aussi sur la princesse quand ses médecins lui permettront le voyage. Que pensez-vous de cet arrangement ?
— Que vous êtes un homme malhonnête et un monstre !
Il haussa les épaules avec un petit rire méchant :
— Mais non, je suis très humain ! Ainsi, félicitez-vous d’être aussi laide, sinon je vous aurais peut-être proposé une façon plus agréable de passer le temps… Timour ! appela-t-il en élevant la voix et en frappant dans ses mains.
Ce qui fit apparaître un personnage inattendu : un petit homme trapu aussi large que haut avec un cou de taureau et un faciès résolument mongol. Il n’était pas grand mais sa force devait être redoutable. L’homme au foulard lui désigna « Mina » en lui donnant un ordre dans une langue inconnue.
Le Timour en question approuva de la tête et coinça aussitôt un bras de la fausse secrétaire dans une poigne qui lui donna l’impression d’être prise dans un étau. Impossible de se dégager de cette pince-là !
— Dormez bien, ma chère ! dit l’homme au foulard. Nous nous reverrons demain, avant votre départ ! En attendant, soyez tranquille, on vous apportera de quoi ne pas mourir de faim… Vous m’avez apporté de trop belles choses pour que je lésine sur votre nourriture !
Resté seul, il retourna vers la table, ôta son foulard et plongea ses longues mains avides dans la masse scintillante… Son regard noir brûlait de tous les feux de l’enfer.
Il était plus de dix heures du soir quand le taxi du
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