La Perle de l'empereur
la soulevèrent. Déjà Adalbert était à genoux au bord et plongeait sa lampe dans les ténèbres d’où s’élevait une odeur pénible. Ce qu’il aperçut l’épouvanta :
— Bon Dieu ! s’écria-t-il à demi étranglé. Il est là au fond de ce trou… On dirait… on dirait qu’il est mort !
Cependant, des profondeurs du puits, une voix faible lui parvint :
— Adal… C’est toi ?
— Oui, mon vieux, c’est moi. Comment es-tu ?
— C’est… c’est sans importance ! Lisa ! Où est Lisa ?
— Elle va bien, sois tranquille ! J’arrive ! (Puis, s’adressant à ceux qui l’entouraient :) Comment descend-on là-dedans ? Trouvez-moi une corde… une échelle !
La corde n’était pas loin. On la trouva dans les herbes avec un crochet permettant de descendre et de remonter un seau : la seule communication, depuis près de trois semaines, entre l’enterré et le monde des vivants. Fédor, le plus solide des Vassilievich, se l’attacha autour du corps et s’assit par terre pour permettre à Adalbert de rejoindre son ami tandis que deux autres frères le retenaient.
— On ne le remontera pas comme ça, observa celui-ci. Il faudrait au moins une échelle ! Appelez donc les pompiers ! Ils sauront faire ça mieux que nous s’il est blessé. Sans oublier la police !
— Ni un serrurier ! gronda Adalbert du fond du trou. Il est enchaîné à la muraille !
Il fallut tout cela en effet, plus une bonne heure et les efforts de trois hommes pour que la civière descendue dans le puits remonte en glissant le long de l’échelle et soit déposée dans la tendre lumière d’un soleil qui se levait sans hâte.
— Mon Dieu ! exhala le policier. Quel monstre était donc ce pseudo-Napoléon ?
Morosini, en effet, aurait suscité la pitié de son pire ennemi : amaigri, blême sous les poils de barbe qui lui mangeaient le visage, les yeux creux et brûlants de fièvre, les bras enflés et les poignets couverts de croûtes dont certaines saignaient encore, sale à faire peur et répandant une odeur méphitique, il ne restait plus grand-chose de l’homme séduisant et désinvolte qui avait quitté la rue Jouffroy par une froide nuit d’avril pour s’enfoncer dans une nuit encore plus profonde. En outre, il émettait par quintes épuisantes une toux sèche qui fronça les sourcils d’Adalbert : il savait son ami sensible au froid et ce printemps ressemblait comme deux gouttes d’eau à un début d’hiver. Sans compter l’humidité du puits !
— Il faut le ramener tout de suite à la maison ! s’écria Marie-Angéline qui avait rejoint les hommes et qui pleurait dans son mouchoir. Il recevra les meilleurs soins !
— Pas question ! coupa Langlois. Il lui faut l’hôpital et nous allons le conduire à l’Hôtel-Dieu.
— Il a raison, approuva Adalbert. Il a besoin d’un examen minutieux. Après quoi on pourra le récupérer…
— Belles paroles ! ricana Langlois. Vous voilà saisi par la sagesse ? Un peu tard, on dirait ? Mais vous allez avoir des comptes à me rendre ! C’est bien la première fois que je vois faire appel à des tziganes plutôt qu’à la police pour régler les comptes d’un criminel !
— C’est moi qui ai téléphoné au Schéhérazade avant de venir ici, intervint Martin Walker. Vous appeler eût été trop risqué !
— Tandis qu’à présent vous avez lieu d’être satisfait ? Quel tableau de chasse ! Un vrai massacre…
— Vous n’auriez pas fait mieux ! Peut-être même pire, car tout le monde est entier dans notre camp. Sauf sans doute le dos de Vidal-Pellicorne. Au lieu de rouspéter, vous feriez mieux de vous pencher sur le problème qui vous reste : Agalar n’était pas Napoléon VI. Il l’a avoué avant de mourir en demandant pardon à Dieu et en jurant qu’il n’avait tué ni Piotr Vassilievich, ni Van Kippert ! Somme toute vous devriez nous remercier parce qu’on vous a éliminé une belle bande de truands sans que ça coûte un sou à la justice française !
— Je me disais aussi que j’oubliais quelque chose ! ricana Langlois. Eh bien, merci, monsieur Walker ! Tâchez au moins de ne pas en rajouter dans le papier sensationnel que vous allez pondre ?
— Allons, commissaire ! fit Walker avec un sourire désarmant. Comme si vous ne me connaissiez pas ?
— Justement, je vous connais.
— Alors, vous devez savoir que je vénère la police et que, pour rien au monde, je ne
Weitere Kostenlose Bücher