La Perle de l'empereur
voudrais troubler sa sérénité.
Adalbert, cependant, s’était rapproché de Masha qui, à l’écart, contemplait ce qui se passait, immobile et droite, absente…
— Qu’avez-vous chanté pour cette femme tout à l’heure ?
Sans le regarder, elle répondit :
— Le chant de mort des guerriers mongols. Je l’ai appris un jour, très loin d’ici, d’un homme qui allait mourir… Cela évoque la gloire de ceux ont combattu dans l’honneur et qui s’en retournent, libérés de la haine, vers la steppe ancestrale que baignent l’Onon doré et le bleu Kéroulen… mais ne me demandez pas de traduire mot à mot : j’en suis incapable même si je comprends…
Et, ramenant sur sa tête le châle qui en avait glissé, elle s’en alla rejoindre ses frères…
Ainsi que Marie-Angéline l’avait précisé, Lisa n’eut aucune peine à se libérer de ses liens quand elle reprit conscience sur le tapis de la salle de bains où elle était étendue en chemise. Une situation parfaitement ridicule qui l’eût amusée si l’enjeu n’eût été aussi lourd. Elle aimait bien « Plan-Crépin », dont elle reconnaissait volontiers les aptitudes hors du commun, mais cette fois elle lui en voulait de s’être immiscée dans ce drame où la vie d’Aldo était en jeu.
Revenue dans sa chambre, elle constata d’abord qu’il était près de neuf heures et demie, ce qui signifiait que la machine était en marche et qu’elle ne pouvait plus rien pour l’arrêter. Que faire alors ? Rester dans cette chambre banale sans communication aucune avec qui que ce soit lui parut insupportable et, puisque l’indomptable Marie-Angéline avait pris sa place, elle allait se rendre rue Alfred-de-Vigny, certaine de s’y trouver au cœur du problème. Tante Amélie avait le réconfort vigoureux et singulièrement efficace.
Saisie d’une hâte soudaine de la retrouver, elle endossa les vêtements de Marie-Angéline, rassembla les quelques affaires sorties de sa mallette de voyage, prit son sac et descendit dans le hall pour régler sa note et demander un taxi. Il y avait réception, ce soir, au Continental et elle en fut un instant contrariée car dans ceux qui arrivaient elle pouvait reconnaître certains visages ; mais son déguisement était vraiment parfait, ainsi que la convainquirent son reflet dans l’une des hautes glaces de l’entrée et les regards sans poids de ces gens sur elle. Quelques instants plus tard elle roulait vers le parc Monceau…
Si elle s’attendait à créer une quelconque surprise, elle fut déçue.
— Enfin vous voilà ! exhala M me de Sommières qui, depuis plus d’une heure, arpentait son jardin d’hiver dans un cliquetis de sautoirs.
— Vous m’attendiez ?
— Bien sûr ! Que pouviez-vous faire d’autre à présent que compter les heures avec moi ? On attend mieux à deux que seule en face de son imagination. J’aime bien Plan-Crépin, vous savez ?
— Pourquoi, alors, lui avoir laissé faire cela ?
— Parce que c’était la seule chose intelligente. Parce que vous avez deux petits enfants et qu’ils ont besoin de vous plus encore que de leur père Enfin parce que Plan-Crépin porte en elle le sang de ces fous qui traversaient les mers et les déserts pour récupérer un tas de pierres où le Christ n’a fait que passer.
Elle s’arrêta, regarda Lisa au fond des yeux puis la saisit dans ses bras pour la serrer contre son cœur :
— Ma pauvre petite ! Ce que vous avez dû souffrir ! Pardon de n’avoir pas d’abord pensé à vous. Pardon de cet accueil un peu abrupt mais… mais je suis comme ça ! Si je ne vocifère pas, je m’écroule !
— Je sais. Mon père est comme vous… et moi aussi je crois bien. Mais j’ai peur… J’ai tellement peur !
Se dégageant des bras de la marquise, elle se laissa tomber sur un pouf et, en dépit de ce qu’elle venait de dire, fondit en larmes avec la violence d’une rivière qui brise une vanne. M me de Sommières la laissa pleurer un moment, se contentant de poser une main apaisante sur les cheveux teints de la jeune femme dont elle avait commencé à palper une mèche dans un geste plein de pitié. Alors, elle entendit :
— Pourquoi… pourquoi ne m’avez-vous pas dit qu’il s’était mis à aimer cette femme ? À l’aimer au point de la tuer.
Comprenant qu’un poison ajoutait sa brûlure à la blessure de Lisa, M me de Sommières tira une chaise basse près du pouf et
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