La Perle de l'empereur
cigarette pour attendre le prochain arrêt. L’avantage des compartiments séparés, c’est que l’on pouvait profiter en toute tranquillité du voyage sans essuyer les récriminations de son voisin…
Étrange voyage en vérité, où le battement monotone des roues du train rythmait les séquences d’un film au ralenti où il ne se passait jamais rien. Assis derrière sa vitre Aldo regardait défiler un paysage morne où l’on ne retrouvait plus rien des luxuriances des environs de Bombay ni de leur touffeur de serre. Ici c’était une sorte de savane d’herbe sèche coupée parfois d’un bouquet d’arbres poudreux ou de buissons rabougris sur lesquels volaient des bandes d’oiseaux paresseux. Parfois, tout de même, un groupe de gazelles donnait une signification à l’image. La seule distraction c’étaient les haltes dans les petites gares où l’on pouvait voir des familles entières qui campaient là, dans leurs cotonnades poussiéreuses, attendant, assises à même le sol, le train qui leur conviendrait. Des vaches aussi s’aventuraient sur le quai, mâchonnant une poignée d’herbe d’un air blasé. De temps à autre une sorte d’oasis autour d’un étang immobile donnait envie de descendre pour aller s’y rafraîchir et de voir de plus près cette charrue attelée de bœufs aux cornes peintes, ou encore, surgi de la terre jaune, un piton rocheux ou s’accrochaient les murailles arrogantes d’un fort ressemblant à quelque guerrier solitaire figé dans une garde millénaire et dérisoire. Il suffisait alors de l’apparition de quelques turbans et d’un sari dans la gare la plus proche pour que Morosini imagine une histoire d’amour et de guerre, de princesses captives, de poètes amoureux et de conquérants sauvages ne trouvant plus, les portes forcées, que les cendres du bûcher où la belle s’était jetée pour leur échapper…
À la vérité son imagination n’avait pas grand chose à faire car il avait trouvé en Ramesh un guide, pas très loquace sans doute mais toujours capable de lui dire le nom de l’endroit et ce qui s’y était passé. Ainsi, entre les haltes des repas Aldo, fasciné malgré lui, ne bougea-t-il pas de sa fenêtre et atteignit-il Jaipur sans avoir seulement ouvert l’un des livres ou des journaux qu’il avait emportés.
L’arrêt en gare de Jaipur, où il fallait tuer le temps pendant deux heures au moins, l’agaça. Il savait que la ville, capitale du Rajahstan, sans doute le plus important centre de pierres précieuses des Indes, était des plus belles et des plus intéressantes. Pourtant il fallait se contenter d’y passer sans admirer le palais de la Lune, celui des Vents et le prodigieux observatoire en plein air construit par la volonté d’un prince astronome…
— Personne ne nous empêchera de visiter quand nous reviendrons des fêtes du Jubilé, émit Adalbert, philosophe. Nous aurons alors tout le temps.
C’était la sagesse même puisqu’il ne pouvait être question de ne pas suivre l’horaire prévu et risquer de faire attendre l’imprévisible maharadjah. N’avait-il pas pris la peine de minuter – à peu de chose près ! – le voyage de celui qu’il appelait son « frère » ? Ce qui ne laissait pas d’inquiéter quelque peu Adalbert :
— Dans les indications que tu as reçues il n’a jamais été question de moi et je n’ai pas l’impression qu’il m’ait inclus dans sa famille…
— Tu fais partie de la mienne et il le sait. Je lui ai dit que nous ferions ensemble le voyage aux Indes. Donc il doit s’attendre à ta présence…
Cependant, quand sur le coup de quatre heures du matin on descendit du train sous un vent glacial dans la ravissante petite gare en grès rose d’Alwar, on découvrit, plantée sur le quai, la mince silhouette enturbannée d’un aide de camp flanqué de deux ombres martiales, armées jusqu’aux dents, et d’un serviteur portant une tasse de thé fumante. Une seule… que Morosini refusa d’un geste de la main :
— Nous sommes deux, que je sache, capitaine ! Et Sa Grandeur le sait. D’où vient qu’il n’y ait qu’une seule tasse ?
— Cette coutume ne s’attache qu’aux hôtes d’honneur, expliqua l’officier. Votre Excellence peut voir que nous sommes venus attendre un autre invité du maharadjah, ajouta-t-il, désignant du turban un personnage qui, empaqueté d’une pelisse et d’un bonnet d’astrakan, venait de descendre du train et s’avançait
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