La Perle de l'empereur
d’autres termes, j’espère seulement passer quelques heures sous le toit d’un ami. Des vacances, en quelque sorte, dans le cadre enchanteur d’un véritable magicien.
La petite flatterie finale effaça le pli de contrariété qui était en train de se former entre les sourcils de Jay Singh. Après une légère hésitation, il éclata de rire :
— Des vacances ! Le terme est excellent et je l’approuve ! Vous aurez vos vacances, mon cher prince… et plus encore. Mais allons dîner !
Précédant Morosini, le botaniste un peu désorienté par l’arrivée de ce concurrent inattendu et le vieux Diwan qui se frottait doucement les mains, le maharadjah gagna la salle des festins où le couvert était dressé sur une interminable table en acajou verni, ce qui laissait une place considérable entre les invités. Somptueuse, bien entendu, la table, avec ses chandeliers de cristal alternant avec des plats d’or chargés de fruits et des buissons de fleurs. La vaisselle était aussi en or, ce qui fit se relever délicatement les sourcils de Morosini. C’était bien la première fois qu’il allait manger dans une vaisselle aussi précieuse. Le coup d’œil en était impressionnant mais, pour sa part, il eut préféré une belle porcelaine. Tout cela faisait un peu nouveau riche !
Jay Singh prit place au bout de la table, sur une sorte de trône garni de coussins de brocart qui lui mettait les pieds à hauteur de la table. Auprès de lui était placé un énorme plat d’or fermé par un couvercle cadenassé : son propre dîner, qu’il absorberait quand bon lui semblerait, car il n’était pas question qu’il mange la même chose que ses invités. Morosini et sir Joshua étaient placés de chaque côté de ce monument. Aldo avait le Diwan comme voisin de droite et le botaniste, l’un des commandants de l’armée d’Alwar. Derrière chaque invité un domestique en blanc se tenait, droit comme une colonne, prêt à répondre à son moindre désir.
Le ballet des grands plats chargés d’une multitude de hors-d’œuvre, dont la plupart étaient ignorés d’Aldo, commença. On avait décidé en effet qu’en l’honneur des hôtes étrangers le dîner serait servi à l’occidentale. Après avoir parcouru du regard l’assemblée des turbans multicolores qui composaient à la table une bordure quasi florale, Morosini se pencha vers le Diwan :
— Pouvez-vous me dire, sir Akbar, pourquoi, recevant un savant anglais, le maharadjah n’a pas invité d’autres Britanniques ? Il doit bien y avoir ici un Résident comme dans les autres États indiens ?
— Oh, nous en avons un, soupira le vieil homme en grignotant délicatement une cuillerée de caviar. Seulement il n’est jamais là. En ce moment, par exemple, il est à Delhi. Il y va souvent, ne laissant à la Résidence, un peu éloignée de la ville d’ailleurs, qu’une poignée de subalternes.
— Et Sa Grandeur lui autorise cette liberté ?
— Vous voulez dire qu’elle l’y encourage. Quand sir Richard Blount est là, il est en butte à tant de mauvaises plaisanteries qu’il se contente de faire acte de présence de temps en temps…
— Des mauvaises plaisanteries ?
— Oui, Son Altesse a beaucoup d’humour. Sir Richard aussi, entre parenthèses, mais quand il trouve dans sa salle de bains une nichée de scorpions ou quand l’un des bestiaires du palais permet à l’un des tigres de Son Altesse d’aller prendre le frais dans les jardins de la Résidence, sir Richard n’apprécie pas vraiment. Oh, les serviteurs coupables de négligence sont sévèrement châtiés mais c’est comme un fait exprès : dès que le Résident est ici, il se trouve affronté à de petits problèmes de ce genre.
— Vous dites que les serviteurs sont châtiés sévèrement ?
— Son Altesse les fait pendre aux arbres de la Résidence. Et envoie des excuses. Lady Blount, en tout cas, ne veut plus mettre les pieds à Alwar. Cela enchante Son Altesse qui déteste les femmes européennes. Il dit qu’elles sentent mauvais…
— Les femmes européennes ou toutes les femmes ? Je n’en ai pas vu autour de lui ni aucune dans ce palais…
— Il y en a pourtant, et pas loin.
Levant la tête, sir Akbar dirigea le regard d’Aldo vers le haut de la salle, dont une sorte de galerie fermée par des panneaux de marbre finement ajouré faisait le tour.
— Vous voulez dire qu’elles sont là-haut ?
— En effet. Ne vous y trompez pas,
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