La Perle de l'empereur
m’éloigne. C’est arrivé par deux fois. Au cours d’une fête, l’un de ses beaux-frères, ivre d’ailleurs, le harcelait pour qu’il lui trouve une fille pour finir la nuit. Jay Singh a fini par lui dire qu’il lui livrerait la plus belle de ses concubines, mais à la condition que l’acte se passe dans le noir le plus absolu et sans échanger une seule parole. L’autre, en proie aux délires de la chair, était prêt à tout concéder : on l’a introduit dans une chambre obscure où l’attendait une jeune femme avec laquelle il a pris longuement son plaisir. Soudain la lumière est venue inonder la chambre et le malheureux a pu voir qu’il avait fait l’amour à sa propre sœur, l’une des épouses d’Alwar. Le lendemain, tous deux se sont suicidés… Je suis alors parti pour une solitude de la montagne et pendant six mois j’ai refusé la présence du maharadjah. Il en a vécu un entier devant la grotte où je vivais, implorant mon pardon, souffrant la faim, le froid, le soleil écrasant, pleurant, jurant qu’il ne recommencerait plus. Je lui jetais de la nourriture comme à un chien. Enfin nous sommes revenus ensemble ici et durant une année il a été pour son peuple le meilleur des princes. Jusqu’à ce qu’il recommence !
— La même chose ?
— Non. C’était… différent. Une princesse de sa famille a refusé de devenir « sati » : il l’a fait jeter à ses tigres avec son enfant.
— Oh non !… Il a fait ça ?
— Bien sûr, il l’a fait, et ce n’était pas la première fois. D’autres malheureuses ont subi ce sort affreux, mais je ne le savais pas…
— Vous êtes reparti ?
— Je n’en ai pas eu besoin. Le Vice-Roi a eu vent du drame et, pour éviter d’être destitué, Jay Singh s’est enfui à Londres… où il a un ami très puissant, sir Edwin Montagu, secrétaire d’État pour l’Inde. Comme par hasard on a changé de Vice-Roi. Et Alwar est rentré chez lui. À nouveau il est venu à mes pieds.
— Le tigre ! Jeter une femme et un enfant au tigre ! gronda Morosini qui n’écoutait plus… Il semble que ce soit sa manière favorite de faire disparaître ceux qui le gênent… Vous l’avez entendu ? C’est le sort qu’il a réservé à mon ami le plus cher… J’aurai le même si je ne me plie pas à sa volonté ! L’infâme salaud !…
— Calme-toi !… Il a donné, en effet, l’ordre au Diwan… mais le Diwan est un homme sage. Il a du s’arranger pour faire disparaître ton ami d’une autre façon… en le cachant, par exemple !
— Dieu vous entende ! Mais moi, je n’ai rien à faire ici ! cria-t-il brusquement. Je suis un homme normal, moi, un bon époux, un père, un chrétien, et jamais, vous entendez, jamais je n’accepterai la vie que ce monstre à décidé de m’offrir ! Je veux sortir d’ici… et vite !
— Ne crie pas si fort ! Je ne suis pas sourd et les gardes ne comprennent que leur langage à eux. Te révolter, hurler ne sert à rien.
— Si vous êtes un sage, vous devriez comprendre que je ne peux pas accepter, que tout ceci me révolte ?
— Je ne te conseille pas d’accepter je te conseille de te calmer. Tu dois… faire semblant.
— Faire semblant ?
— Mais oui. Jay Singh pense que si j’ai réussi parfois à attendrir son cœur, le tien ne devrait pas résister davantage. Il faudra sans doute y mettre le temps…
— Je n’ai pas le temps. Dans un peu plus d’une semaine je dois être à Kapurthala où je suis invité par le maharadjah ! Un homme de bien, celui-là !
— Un peu trop ami des fêtes, peut-être ? Je le connais.
— Il est venu ici ?
— Non. Je l’ai rencontré il y a de longues années à Paris… quand je n’étais pas encore un saint homme. Allons, mange un peu ! Ensuite nous aviserons…
Incontestablement, Chandra Nandu distillait une atmosphère apaisante. En partageant le frugal repas, Aldo se surprit à s’entretenir avec lui d’une infinité de sujets qui n’avaient pas grand-chose à voir avec la préparation au Nirvana. Le sage, plus âgé encore qu’il ne le paraissait, avait beaucoup voyagé, beaucoup lu, beaucoup vu et beaucoup retenu. Il n’eut aucune peine à confesser ce « disciple » forcé qu’on lui amenait. Si bien que, mis en confiance, celui-ci finit par demander :
— Je ne voudrais pas mettre votre vie en danger, mais quel conseil me donnez-vous ?
— D’abord de t’apaiser et de te résigner à
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