La Perle de l'empereur
travers la foule sans trop se soucier de ce qu’il bousculait. Mais sa méthode était énergique et il eut bientôt rejoint les deux hommes :
— Toujours à la recherche de votre assassin, commissaire ? Vous espérez le trouver ici ?
— Pourquoi pas ? Il doit aimer les bijoux et il y a ici de quoi flairer ! Je vous présente Martin Walker, prince, et j’espère que vous avez apprécié son article à sa juste valeur.
— « La Perle sanglante » ? Efficace, sans doute… mais pas très nouveau. Ce qui l’est davantage, c’est la belle imagination dont vous avez fait preuve…
Le journaliste fronça le sourcil :
— À qui ai-je l’honneur… oh non, inutile de me dire qui vous êtes ! Le prince Morosini, je présume ?
— Vous présumez bien. Je fréquente peu la presse cependant.
— Mais elle vous apprécie. Vous êtes de ces gens précieux grâce à qui nous pouvons parfois faire rêver des millions de lecteurs ! L’homme qui connaît le mieux au monde les bijoux historiques ! Vous venez acheter la perle ?
— Non. Rien qu’une émeraude.
— Tout aussi sanglante si, comme le prétend le catalogue, elle a appartenu à Ivan IV ?
Ce fut au tour des sourcils d’Aldo de remonter avec un rien d’insolence :
— Comment ? Vous qui aimez tant les titres à sensation, vous lui donnez platement son matricule !
Walker se mit à rire, ce qui lui enleva une quinzaine d’années.
— Me voilà pris en flagrant délit de culture historique ! Pardonnez-moi !… Ah, on dirait que les choses commencent à s’arranger et nous allons pouvoir démêler les personnalités du menu fretin.
Peu à peu, en effet, le désordre refluait et la salle, si elle restait bruyante, prenait son habituel visage policé. Naturellement et comme ses deux compagnons, Aldo s’intéressa à ceux qui la composaient et parmi lesquels il fallait distinguer les curieux qui n’achèteraient rien mais formeraient le fond du tableau, de jolies femmes actrices de théâtre ou de cinéma qui, elles, venaient se montrer et peut-être se laisser tenter, les représentants de deux ou trois grands joailliers, des membres de la colonie russe venus cultiver leur nostalgie. Parti pour son domaine de Corse le prince Youssoupoff n’y était pas mais Aldo reconnut une de ses proches, la princesse Murat (8) qu’il se promit d’aller saluer tout à l’heure, elle qui ne manquait jamais une vente proposant des souvenirs napoléoniens. Ce qui était le cas de la « Régente ». Des collectionneurs enfin : deux Rothschild, Nubar Gulbenkian et quelques autres de moindre importance mais l’attention de Morosini les oublia vite pour se fixer sur un groupe de trois personnes qu’il n’eut aucune peine à reconnaître : le milliardaire Van Kippert, sa fille et le marquis d’Agalar, sombrement beau à son habitude, qui courtisait de toute évidence la jeune Muriel et son imposante dot. Aldo n’aurait jamais cru que cet arrogant visage put produire autant de sourires. Il est vrai que cela lui permettait de montrer l’éclat neigeux de ses dents. La jeune Américaine semblait fascinée…
Adalbert, qui s’était attardé auprès d’un grave personnage barbu orné d’une énorme rosette de la Légion d’honneur, rejoignit à cet instant la place qu’Aldo lui gardait.
— Je me demandais si tu allais le quitter un jour, murmura celui-ci. C’est un parent ?
— Penses-tu ! C’est un académicien et c’est lui qui m’avait présenté La Tronchère. Je voulais apprendre de lui s’il savait où se trouve actuellement ce sacripant car, bien entendu, il n’y a plus personne rue du Mont-Thabor…
— Et il le sait ?
— Mon voleur serait à Bagdad.
— Patrie de tous les voleurs bien nés depuis le fameux film de Douglas Fairbanks ! fit Morosini en riant. Ton académicien va trop au cinéma.
— Ça pourrait être vrai, grogna Adalbert. Je te l’ai dit, ce truand serait « mésopotamologue », seulement quelque chose me dit aussi que Fructueux n’est pas parti si loin. Je le sens…
— On en reparlera plus tard. La vente commence.
Le commissaire-priseur entamait en effet un petit discours destiné à mettre en valeur les pièces qu’il s’apprêtait à vendre. Après quoi les enchères commencèrent sur une parure de très beaux camées enrichis de diamants ayant appartenu à une princesse et qui atteignit rapidement une somme rondelette, puis l’on passa à des sautoirs de perles
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