La Perle de l'empereur
auprès de lui les secrétaires « hollandaises et fagotées », comme lors de son désastreux mariage polonais (7) , Lisa avait eu plus que son compte d’occasions d’être jalouse. Aussi se refusait-il farouchement à lui en fournir d’autres. Il savait qu’elle avait confiance en lui et Lisa elle-même lui était trop précieuse pour risquer de l’écorner si peu que ce soit en installant à sa porte une aussi affriolante créature. Celle-ci d’ailleurs compléta sa pensée en constatant avec tristesse :
— … mais vous ne souhaitez pas la mettre à l’épreuve et je serais sans doute gênante.
— N’en croyez rien, dit-il gentiment, mais vous seriez déracinée chez nous, où nous subissons un gouvernement dictatorial, en dépit de la présence du roi. Les étrangers y sont tenus sous une surveillance peu agréable. Croyez-moi, l’Angleterre vaudrait mieux ! Sinon… le seul conseil que je puisse vous donner est de sortir le moins possible. À moins de chercher refuge auprès de votre ami Félix ? Et, à ce propos, pourquoi ne pas rejoindre à Londres la princesse Irina ?
— Elle ne m’aime pas et je ne suis pas sûre de l’aimer !
Aldo retint un soupir découragé :
— Alors restez chez vous ! N’en bougez pas et attendez de mes nouvelles. Je vais essayer de savoir ce que fait au juste votre bel ami…
Quelques minutes plus tard, Aldo retrouvait le colonel Karloff et son taxi avec une sensation de soulagement qu’il se reprocha comme indigne de lui. Lisa n’aimerait pas qu’il devînt égoïste et laisse dans la détresse une femme dont le seul tort était d’être trop belle !… Alors, bien sûr, il l’aiderait… mais à condition qu’elle s’aidât elle-même et consentît à écouter des conseils de sagesse !
En attendant et ainsi qu’il en avait émis l’idée, lui et Karloff s’attablèrent dans un petit café de la rue Saint-Dizier qui restait ouvert la nuit et qui, selon l’ancien colonel, faisait un très bon café. Naturellement, on parla de Tania Abrasimoff, Karloff représentant une assez bonne source d’informations. Par lui, Aldo eut une précision sur l’ancienne adresse de la jeune femme et sut du même coup que l’appartement était au nom d’Agalar et que, très certainement, il était revenu y habiter.
— Si ça vous intéresse, je peux le surveiller discrètement, moyennant une honnête rétribution bien entendu, car je n’ai plus, hélas, les moyens de faire de cadeaux…
— Cela va de soi mais j’aimerais mieux que vous me la surveilliez, elle. Cet homme la terrifie. Cependant je ne suis pas certain qu’elle se résignera à rester chez elle. Il faut avouer que l’appartement est sinistre…
— Oh, pour elle, vous devriez vous contenter d’acheter son concierge. Dans ces immeubles, même si les appartements sont lugubres, les pipelets ont en général le téléphone… Et dans ce couple, c’est lui le plus intéressant…
— D’accord. Je verrai demain. Un autre café ?
— Volontiers. Il est bon, n’est-ce pas ?
En réalité il n’était pas meilleur que les autres mais, en revanche, le calvados dont Karloff l’arrosait était excellent. En matière d’alcool on pouvait faire confiance à un Russe de bonne maison et Aldo se laissa facilement convertir à la religion du café-calva chère à presque tous les chauffeurs de taxi. C’était incontestablement revigorant. Aussi en rentrant rue Jouffroy se sentait-il plutôt optimiste et enclin à voir l’avenir sous les tendres couleurs de l’aurore. Après avoir rompu quelques lances afin de rendre la paix du cœur à la belle comtesse, il regagnerait les splendeurs de son palais vénitien où l’attendaient le sourire de sa femme… et les hurlements des jumeaux. L’instant présent l’attirait plus volontiers vers son lit pour y trouver les délices d’un sommeil réparateur. Force lui fut cependant de constater que ce ne serait pas pour tout de suite.
En dépit de l’heure tardive, Adalbert n’était pas couché. Vêtu d’une vieille veste d’intérieur en velours à brandebourgs, les pieds dans des charentaises, il arpentait son cabinet de travail en déclamant :
Corrige-toi devant tes propres yeux et
Prends garde de te faire corriger par un autre.
Si tu es un homme vertueux,
Fonde un foyer,
Épouse une femme forte,
Il te naîtra un fils.
Construis une maison pour ton fils …
— Merci, grogna Morosini, c’est déjà fait.
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