La Perle de l'empereur
s’il était réel ou simulé.
— Choisie pour quoi ?
— Parce qu’il m’aime. Il me l’a dit.
— En ce cas pourquoi tout ce mystère ? Votre père aussi s’était tracé un destin, mais il le suivait à visage découvert.
— Ce n’est pas la même chose. Le chemin de mon père vénéré était celui de la lumière et de la victoire. Napoléon, lui, doit marcher dans l’ombre afin de se dérober à ses ennemis, mais la révélation n’en sera que plus éclatante… Et moi, il m’a choisie pour épouse !
Et voilà ! On nageait toujours en plein délire mystique.
— Vous ne vous prendriez-vous pas un peu pour sainte Thérèse de Lisieux ? marmotta Marie-Angéline agacée. Vous êtes prête à épouser un homme que vous ne connaissez pas, qui est peut-être laid comme les sept péchés capitaux…
— Oui, parce que j’ai entendu sa voix ! Elle ensorcelle comme une incantation. Une telle voix ne peut appartenir à un monstre. En outre, il sait si bien veiller sur moi et sur mes enfants ! Il nous entoure de tant de soins ! Ainsi je suis toujours escortée lorsque je sors…
— Comment vous êtes-vous fait cela ? fit Marie-Angéline en désignant le pied bandé.
— Le plus bêtement du monde ! Je suis tombée dans l’escalier… D’ailleurs je ne sais pas si je retournerai au théâtre. « Il » ne le souhaite pas.
— C’est compréhensible, dit Marie-Angéline qui se leva en soupirant. Eh bien, je crois que vous n’avez pas besoin de notre secours et je vais vous quitter.
Une lueur s’alluma dans les yeux noirs :
— N’avez-vous pas dit que vous m’apportiez de l’argent ?
— Je l’ai dit, en effet, mais ces dames du comité vous croyaient dans la misère, et puisque votre illustre protecteur ne vous laisse manquer de rien…
— Un petit supplément n’a jamais fait de mal à personne ! fit une grosse voix dont le propriétaire venait de s’encadrer dans le chambranle de la porte. Les petites aiment beaucoup les bonbons !
Les dimensions du personnage plaidaient en faveur de la conciliation, de même que sa figure aplatie par une fréquentation assidue des salles de boxe. Cependant M lle du Plan-Crépin descendait des preux qui s’étaient illustrés aux croisades et savait faire face : elle toisa l’arrivant.
— Les secours de l’Aide aux réfugiés ne sont pas destinés à acheter des bonbons, déclara-t-elle.
— Et pourquoi pas ? Ça dépend des besoins qu’on a. Je suis sûr qu’il y en a qui transforment votre argent en pinard, ou en vodka si vous préférez…
En même temps l’homme dont l’accent faubourien n’était certainement pas né sur les bords de la Neva tendait une main large comme une assiette :
— Allons, un bon mouvement ! continua-t-il. Le patron est en voyage pour le moment et faudrait penser à acheter du charbon pour la cuisinière…
Marie-Angéline comprit qu’elle ne serait pas la plus forte. Ouvrant son sac à main elle en tira un billet de cent francs que l’autre considéra avec mépris :
— Sont pas très généreuses, vos bonnes femmes ! Y a pas que le charbon dont on a besoin…
Et, s’emparant du sac, il en tira quatre autres billets que M me de Sommières avait mis à la disposition de la fausse dame d’œuvre.
— Ben voilà ! fit-il avec satisfaction. On va se sentir mieux, nous autres, et vous, ma petite dame, vous vous sentirez plus légère. À présent je vous reconduis, dit-il en la prenant par le bras pour la ramener à l’escalier sans lui laisser le temps d’un au revoir quelconque. Bien le bonjour chez vous et ne vous gênez pas nous revenir prendre de nos nouvelles…
Après quoi, la porte du palier claqua derrière Marie-Angéline.
Lorsque la Panhard-Levassor eut mis quelque distance entre elle et le boulevard Rochechouart, Marie-Angéline perdit son maintien digne pour se laisser aller sur les coussins, ôta sa voilette et s’éventa avec son chapeau. Elle se sentait déçue car elle espérait beaucoup de cette visite. Or, elle s’était fait délester de cinq cents francs en échange de quoi ? Absolument rien, sinon que la fille de Raspoutine était entièrement à la dévotion de « Napoléon VI », qui était sans doute fort intelligent car il avait su jouer sur l’attrait du mystère en même temps que sur les rêves de gloire et de richesse d’une femme passablement malmenée par la vie. Quant à son protecteur, le portrait qu’elle en avait
Weitere Kostenlose Bücher