La Perle de l'empereur
était froide mais belle et, une fois installé dans l’endroit choisi, on ouvrit en grand les vitres du taxi afin de pouvoir respirer l’odeur des lilas et des feuilles nouvelles. Sans se priver pourtant du voluptueux parfum des cigares dont Adalbert ne manquait jamais de se munir.
Cependant il n’est si bonne chose dont on ne se lasse et, l’attente se prolongeant sans amener la voiture, les deux compagnons commencèrent s’inquiéter.
— On aurait peut-être dû passer d’abord au théâtre ? émit Adalbert, ce qui fit ricaner le colonel :
— Pour risquer de se faire repérer ? Non. La bonne méthode, c’est la nôtre. Peut-être a-t-on emmené la fille Raspoutine souper quelque part ?
— Auquel cas on pourrait en avoir pour deux ou trois heures de plus ? Et pourquoi pas ?
Il était, en effet, plus près d’une heure que de minuit et Adalbert admettait volontiers que plusieurs hypothèses pouvaient être avancées, mais plus le temps passait et plus il supportait mal d’être quasi réduit à l’impuissance. Aldo avait disparu depuis une semaine à présent sans que la moindre piste eût été relevée. Si celle-ci venait faire défaut, de quel côté pourrait-on se retourner ?
La longue côte courbe était déserte à cette heure de la nuit. Aucune voiture ne s’y aventurait plus Avec un soupir, Adalbert allait allumer un nouveau cigare quand le bruit d’un moteur se rapprocha.
— Enfin ! exhala l’archéologue.
— Tsst ! Tsst ! Tsst ! émit Karloff. Ce n’est pas celui que nous attendons. Celui-là est asthmatique. Il a du mal à monter. Je parie pour une petite voiture…
— J’ai une petite voiture et elle grimpe comme un ange ! En attendant, je vais voir…
Et descendant du taxi il alla s’embusquer derrière un providentiel tas de pavés destinés à une future réfection de la chaussée, mais d’où la vue était parfaite aussi bien sur la rue Dailly que sur la courbe. Deux phares ronds semblables à deux yeux jaunes s’agitaient spasmodiquement dans la pente comme si l’automobile avait le hoquet. Il fallut un certain temps avant qu’elle n’arrive à la hauteur d’Adalbert qui reconnut alors une petite 5 CV Citroën avec son derrière pointu qui ressemblait à un croupion. Sans doute à cause de l’air sec elle était décapotée et la silhouette de son conducteur était bien visible. Plus encore quand l’engin passa devant le réverbère qui marquait, dans le tournant, l’entrée d’une rue montant à flanc de coteau : celle-là même où Vidal-Pellicorne avait la maison qui lui servait naguère à entreposer ses trésors illicites…
Et soudain celui-ci eut un sursaut. Impossible de s’y tromper ! La lumière était suffisante pour qu’il puisse reconnaître le conducteur en question : c’était à n’en pas douter Fructueux La Tronchère !
Le sang d’Adalbert ne fit qu’un tour. Il courut au taxi :
— Restez là au cas où les autres arriveraient enfin ! Moi je suis la 5 CV…
— À pied ?
— Elle ne va pas vite et j’ai de grandes jambes ! Ne bougez pas !
Et il s’élança à la suite de son voleur, poussé par une force qui n’avait rien à voir avec la solide rancune qu’il nourrissait contre lui. C’était plutôt de la curiosité. Qu’est-ce que La Tronchère supposé gratter le globe entre le Tigre et l’Euphrate pouvait bien fabriquer à une heure du matin sur le coteau de Saint-Cloud et dans la rue même où il avait commis son forfait ? Éprouvait-il le besoin comme le voulait la tradition policière, de revenir sur le lieu de son crime ? Ledit crime n’était qu’un vol, son théâtre ne devait pas dégager une grande force d’attraction. Et, en fait, La Tronchère n’allait pas chez Adalbert. La voiture passa sans s’arrêter devant la maison où tout était fermé depuis des mois :
« Il faudra que je vienne aérer un de ces jours pensa Adalbert en sachant bien qu’il n’en ferait rien, la seule chose intelligente étant de mettre le tout en vente puisqu’il n’en avait plus besoin. Mais… où est-ce qu’il va ? »
Le peu scrupuleux confrère venait d’arrêter machine un peu plus loin, devant la grille de la propriété voisine. Vidal-Pellicorne le vit descendre de son véhicule, ouvrir ladite grille, remonter et se diriger vers une remise située sur la droite et contre le mur mitoyen. Après quoi il pénétra dans la maison en homme qui rentre chez lui. Peut-être après un
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