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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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au cimetière de Hervi à côté de ma toute petite sœur Juliane. Que vais-je sentir, une fois sous terre, avec des vers blancs partout, partout, dans le nez, dans les yeux… oh ! c’est triste, il eût mieux valu être changée en oiseau. On dit que l’âme reste quarante jours près du corps. Après peut-être j’irai voir mon père sur la route de Jérusalem, si on me permet. Ou peut-être les diables m’emmèneront-ils sous terre, pour être mangée par les serpents. C’est drôle, je n’ai pas encore peur. Comme tout m’est égal, maintenant ! »
    Elle ouvrit les yeux, la dame était près d’elle et lui passait sur le visage un linge mouillé d’eau et de vin. « Dame, demanda Églantine, sera-ce long encore ? » Elle vit les lèvres de la vieille femme trembler, puis se crisper. « Elle pleure, pourquoi ? pensait la jeune fille, étonnée, ah, oui, elle doit penser à mon père. On dit que je lui ressemble. » Elle essaya de sourire et demanda, entre deux souffles : « Dame. Est-ce que mon père se rasait le menton, quand il était jeune ? » La dame crut qu’elle délirait, et lui posa de nouveau le linge sur le front.
    C’était navrant à voir, ce grand corps presque enfantin encore qui s’enfonçait lentement dans la mort. Déjà Églantine paraissait démesurément allongée et lourde, comme le sont les cadavres. Ses larges mains jetées sur la couverture étaient inertes, et les blessures ne saignaient plus. Aux lèvres seulement apparaissait de temps en temps une bave rose. Et le visage, couleur de cuir sale, était impassible et solennel, une gravité enfantine embellissait ces larges traits simples, et les grands yeux bruns avaient l’expression résignée et sagace d’un animal blessé.
    Églantine reçut l’hostie avec indifférence, sans presque comprendre de quoi il s’agissait. Elle délirait un peu. Elle demanda à Haguenier de venir près d’elle et de lui tenir la main. Vers midi, comme elle paraissait assez tranquille, la dame lui dit :
    «  Ma fille, Herbert est là, devant la maison. Si tu le veux, il viendra te demander pardon devant tous des torts qu’il t’a causés. »
    Églantine renversa la tête d’un air las. « Hé, dit-elle, que m’importe ce sanglier ? Dites que je lui pardonne, s’il y tient. »
    La dame fit rapporter cette réponse à son fils, mais ne le laissa pas entrer.
    Assis devant la porte sur le banc encore mouillé de pluie, Herbert attendait. Les valets allaient et venaient, menaient les chevaux à l’abreuvoir, nettoyaient l’étable ; les poules caquetaient dans la basse-cour, les femmes portaient des seaux d’eau, la vie reprenait son train comme si rien ne s’était passé, et comme s’il n’y avait jamais eu de sécheresse. L’air était pur et frais, cela sentait le fumier humide et la terre mouillée, bêtes et gens aspiraient ces odeurs avec une joie tranquille – c’était la trêve. Une grande douceur était répandue dans l’air, les jours mauvais étaient passés et à venir, mais en ce jour-là personne ne pouvait faire de mal, tant tous avaient besoin de repos.
    Herbert avait pris un bout de bois et le sculptait et le tailladait avec son couteau. On l’avait laissé dehors, tant mieux, ce qui se passait dans la salle ne l’intéressait pas ; il était sûr que sa mère viendrait, à la fin. Il pensait au temps où il était petit, et où elle pouvait l’envoyer rouler à terre d’une gifle à toute volée. À présent, il lui eût fallu être plus forte que Roland pour pouvoir le faire. Mais les gifles de la dame étaient d’autre force, à présent, et il avait presque un sourire d’orgueil admiratif à la pensée du ventre qui l’avait conçu : elle s’y entendait encore à punir, la dame, elle n’avait pas oublié qu’elle était sa mère. Mais elle lui pardonnerait et, le voyant si changé, peut-être consentirait-elle à venir habiter chez lui, à Linnières. Il saurait l’honorer et la faire vivre en grande dame ; le vieux, lui, n’y avait jamais songé, il l’avait fait peiner toute sa vie comme un cheval de labour. Lui, il l’habillerait de vair et de zibeline, et la ferait manger dans de la vaisselle d’argent.
    Et dans la salle, de grands cierges brûlaient devant le lit de bois où Églantine était étendue, et les femmes devant la cheminée préparaient des draps blancs et la longue robe de lin qu’on allait mettre sur le corps. Le curé de Linnières, à genoux devant

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