La Pierre angulaire
cave, assez étonnée et espérant au fond du cœur que son mari ne se trompait pas.
Puis Herbert avait demandé pardon de ses fautes à toute la maisonnée, et était allé se coucher dans la chapelle, dans l’attitude d’un gisant, pensant que c’était la façon la plus convenable d’attendre la mort. Il avait seulement peur que le prêtre n’ait pas le temps de venir.
Il n’était pas un homme peureux ; il avait fait deux croisades, et avait payé de sa personne plus que beaucoup d’autres – la peur de l’enfer ne l’avait pas trop tourmenté non plus, puisqu’il avait commis bon nombre de péchés mortels. Mais il avait toujours pensé qu’il saurait mourir de façon assez édifiante pour gagner le paradis, ne fût-ce qu’après un assez long séjour au purgatoire. Et voilà que, par la faute de sa mère, cet orage s’abattait, et le prenait au dépourvu, sans prêtre dans sa maison. Car depuis que la dame l’avait maudit il se sentait visé et jugé, et ne se faisait guère d’illusions, il allait être foudroyé, le tout était de se confesser avant.
Ces derniers jours, il avait été occupé par les préparatifs de son pèlerinage, il n’avait guère eu le temps de se mettre en paix avec sa conscience. Après la malédiction, la première crise de terreur passée, il envisageait la situation froidement. « Pourvu que le prêtre arrive à temps, je m’en tirerai, se disait-il. Je ferai donation de toutes mes terres de Linnières aux pères bénédictins, et avec l’argent que j’ai à Troyes, je ferai bâtir une église en l’honneur de saint Anselme, patron de mon père. Pour ce qu’Haguenier pourrait faire de mes biens, autant les donner à l’Église. J’aurai des messes et des prières assurées pour des années, des dizaines d’années peut-être. Les peines du purgatoire valent celles de l’enfer, dit-on, mais si l’on est sûr d’en sortir ce ne doit pas être si terrible. Mais la mort ? Les souffrances du corps ? Mais la séparation de l’âme et du corps, si pénible pour tous, même pour les meilleurs ? En un tel moment l’âme doute et blasphème, et le diable la guette. Ô angoisse sans nom, ô âme perdue, est-ce pour quelques paroles du prêtre et un peu de pain sans levain que cet horrible passage peut être regardé sans peur ? Et je n’ai même pas les prières d’une mère pour m’aider à mon lit de mort. »
Une telle pitié de lui-même prenait Herbert qu’il en oubliait la peur de l’enfer. Il se revoyait enfant, puis jeune homme, et toutes les injustices qu’on lui avait faites brûlaient dans son cœur. Négligé par ses parents, cadet, mal marié – quoi encore ? Lui qui avait la force et les talents qui eussent fait honneur à un fils de roi, passer une vie si misérable, si vide, sans amour, sans amis, et au moment où il pensait enfin pouvoir faire quelque chose, voilà qu’il lui fallait mourir. « À cause de ma mère », pensait-il. Les femmes ne comprennent rien. J’aurais pu réparer mes péchés. Et c’est fini. Et le prêtre tarde à venir. « Ah ! Dieu, Seigneur, Maître, je me repens, je me repens de tout », mais il n’éprouvait au fond aucun repentir, seulement le vague regret d’avoir fait une mauvaise affaire et encore, c’était sa nature, il n’avait jamais réellement voulu faire le mal.
L’orage s’éloignait, Herbert commençait à se dire que la foudre s’était trompée et était tombée de quelques pas plus au sud qu’il ne fallait, il en réchapperait peut-être pour cette fois. Il n’en restait pas moins immobile, la croix contre ses lèvres, et c’est dans cette attitude que le trouva le père Arthème, assistant du curé de Hervi. « Eh bien, mon fils, je vous croyais malade à la mort ! dit-il. Si on nous faisait venir ainsi en pleine nuit pour tous les hommes qui ont peur de la foudre, il faudrait autant de prêtres que de fidèles. – Ah ! ce n’est pas le moment de plaisanter, mon père, dit Herbert, maussade, en se soulevant sur son coude. D’abord, le père Aubert eût très bien pu me faire l’honneur de venir lui-même, après tout ce que j’ai fait pour embellir son église. Mais peu importe le prêtre, n’est-ce pas ? C’est vous autres qui le dites. Et d’abord, ajouta-t-il, si vous me croyiez mourant, pourquoi n’avez-vous pas apporté le Sacrement ? » Le prêtre fronça les sourcils d’un air gêné. « Le père Aubert avait ses raisons. Du reste, au matin
Weitere Kostenlose Bücher