Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
Vom Netzwerk:
le lit, récitait les prières des mourants de sa voix rude et monotone ; et quand il s’arrêtait on n’entendait plus que le râle de la moribonde et le crépitement des cierges. La dame, agenouillée au pied du lit, priait à voix basse, ses lèvres remuaient. Et Haguenier était toujours sur le lit, tenant la main d’Églantine car elle ne voulait pas le lâcher.
    Et tous, et Milon, et Joceran, et Pierre, et les valets de Bernon se taisaient, et ce n’était pas seulement par respect des convenances. Comme si tous, tout d’un coup, avaient senti, en cette journée de trêve, à quel point cette créature négligée et méprisée leur tenait au cœur sans qu’ils le sussent, à quel point le pays semblerait vide désormais sans cette fille-garçon qui courait les bois et parlait aux fées. Car elle s’en allait avec l’indifférence royale d’un grand oiseau qui ferme ses ailes pour dormir. Sa présence emplissait la salle, et elle paraissait le seul être vivant parmi des fantômes, tant était sévère et solennel le regard de ses grands yeux fixes. Elle râlait doucement.
    À un moment donné, elle fit un effort pour relever la tête, et étendit la main vers les cierges. Elle semblait vouloir dire quelque chose, c’était comme si elle ne trouvait pas les mots. Il lui semblait tout d’un coup qu’il faisait très noir dans la pièce, elle entendait un ronflement, un sifflement saccadé, et ce bruit lui était très pénible, c’était comme s’il l’empêchait d’entendre quelque chose de très important, il fallait faire un effort terrible pour écarter ce bruit qui recommençait toujours – elle ne savait pas que c’était son propre râle. Et il faisait si noir, si noir, comment se faisait-il que la nuit fût tombée si vite ? Elle s’en étonnait, tristement. Elle eut un grand soupir et dit : « Quelle courte journée. » Ce furent ses dernières paroles. Car après cela, elle ne put plus trouver aucune parole.
    Une voix, de très loin, cria : « Églantine ! » Elle croyait avoir entendu déjà cette voix, mais où ? » Qui est-ce, Églantine ? Mon Dieu, qui est-ce ? Je le savais. » Puis elle se sentait monter, monter encore, et son corps était devenu si grand qu’elle eût pu prendre toute la ferme dans sa main comme un caillou. Mais elle n’avait plus de mains.
    Le prêtre posa une croix sur la poitrine de la morte, et la dame mit les deux mains l’une sur l’autre, par-dessus la croix. Les femmes commençaient déjà à se lamenter tout haut. Puis dame Aelis s’approcha du lit, portant la chemise de lin blanc, et une des servantes mit près du lit une jarre d’eau mêlée de vinaigre. Le prêtre s’inclina devant le corps et s’en alla. Haguenier dut partir aussi.
    Sa main était tout en sueur d’avoir tenu si longtemps la main de la mourante. Et on eût dit que quelque chose d’elle était passé en lui, et que ce corps que ces femmes lavaient faisait partie du sien. Il se sentait comme mort et enseveli lui-même, Marie, c’était Marie qu’on allait ensevelir avec le cadavre d’Églantine, c’était Marie qui se lamentait dans la voix de ces femmes, elle dansait dans les petites flammes de la cheminée et regardait par la porte dans les nuage s gris et les branches des arbres qui se balançaient au vent. Marie triste, humiliée, flétrie par la vie ; c’était le corps doux et pur de Marie qu’on avait lacéré de coups de serpe et de fourche. « Ah ! sœur douce, Dieu sait pourtant que je vous aimais bien, mais mon cœur est maintenant trop endolori. Ah ! qu’a-t-on fait de ma belle, de ma tendre chose, de ma seule joie, on l’a séparée de moi, je ne la verrai plus.
    » Sœur, adieu, j’ai votre sueur dernière là sur ma main, et sa main à elle, chaude et vivante, je ne la toucherai plus. Votre visage mort, je le verrai encore de mes yeux, et son visage à elle qui est toute lumière je ne peux pas le voir. Ah ! que n’est-elle là, à votre place, sœur, et que je puisse la voir, pâle et parée et sereine, et la porter moi-même dans la tombe, cela eût mieux valu que de la savoir vivante, dans les bras d’un autre et portant en elle l’enfant d’un autre. »
    Une des jeunes servantes, qui était enceinte, se tenait adossée à la cheminée et s’essuyait le front du dos de la main. Et l’image de Marie enceinte traversa si brusquement l’esprit d’Haguenier qu’il vit réellement, pour un instant, la servante vêtue

Weitere Kostenlose Bücher