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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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mangeront tout vivant. — Il fallait le faire avant, alors. Tu sauras bien qui est ton maître. Je suis le beau-frère du Gros, moi. »
    Églantine eut à peine la force de se traîner dans l’arrière-cour, de laver son visage sanglant dans le baquet d’eau de pluie placé sous la gouttière. Ses oreilles bourdonnaient, elle entendait à peine le bruit de rires et de chansons qui lui parvenait du château. Ils riaient, là-bas, ils dansaient, et elle était là, abandonnée de tous, seule pour toujours. Jamais plus elle n’oserait regarder personne dans les yeux. Macaire – elle n’en voulait même pas à Macaire – en veut-on à un cheval qui vous écrase sous ses sabots ? On l’avait rendu furieux et il s’était emballé. Elle l’eût tué, si elle avait pu ; mais sans haine, pour se défendre. L’homme qui l’avait de sang-froid exposée à la dernière des hontes savait ce qu’il faisait, lui. Il lui fallait, pour que son plaisir fût complet, être sûr qu’elle coucherait dans les bras du vilain.
    Et dire qu’elle avait quand même espéré que c’était un jeu, un jeu cruel comme il les aimait, et qu’il lui dirait : « Rentre à Bernon » et s’arrangerait pour faire annuler ce simulacre de mariage. Ce jeu d’enfer qu’ils avaient joué ensemble, elle s’y était engagée à fond et sans marchander, elle ne s’était pas damnée pour rire. Elle en avait perdu le sommeil, elle était devenue comme folle. Depuis quinze jours qu’elle était à Bercenay, elle n’avait pas pensé à autre chose ; elle était prête à pardonner, elle était prête à aimer jusqu’à ce mariage avec Macaire, parce qu’elle pensait qu’elle en pleurerait après dans les bras d’Herbert. Elle avait pensé qu’il l’humiliait par dépit, parce qu’il l’aimait trop, qu’il eût été le premier à la venger si jamais Macaire osait la toucher.
    Folle qu’elle était, elle avait cru que pendant ces quinze jours, à Troyes, il n’avait eu d’autre désir que de retrouver sa mauvaise graine dans la chapelle, sous le crucifix noir. « Ô folle, pensait-elle, ne savais-je pas que même pour cela il n’avait pas assez de cœur ? Il aura tout raconté à un prêtre de Troyes, il aura payé de l’argent et obtenu son pardon, et moi qui croyais qu’il voulait se damner pour de bon à cause de moi. Moi qui ai menti en confession et mentirai encore, et toujours, et jusqu’à la mort. Ah ! il a un fils, lui, il l’a fait chevalier, il doit le marier, ce sont des affaires importantes, ça, il n’a pas le temps de penser à des bagatelles. Qu’a-t-il à faire de la femme d’un porcher ?
    » Ô toi qui m’as laissé déshonorer par un vilain, pensait-elle, moi qui suis la fille de ton propre père, la honte en est pour toi, tête de verrat, et pour toute ta famille, de ce que tu as laissé subir à ton propre sang une pareille honte. Il n’est pas d’homme libre dans le pays que tu n’aies outragé en faisant cela, tête de taureau, tu t’es fait pire qu’une bête en livrant ta sœur à une bête. Ah ! tête de taureau, tu fais la fête chez toi, pour ton fils, et moi je ne serai pas de la fête. Mais je saurai apprendre de tels mots et de tels sortilèges que je le ferai mourir, ton beau fils, et ses enfants, et toute ta race maudite, je ferai des images de leurs cœurs avec la cire de leurs cierges et je les percerai d’aiguilles chauffées à rouge jusqu’à ce qu’ils fondent à petit feu. »
LA NUIT DU CORPS
    Ce jour-là le vieux s’était réveillé au gazouillement des oiseaux, il croyait être en forêt de Linnières, passant le gué de grand matin, à la poursuite d’un gros sanglier, et il s’étonnait de voir si bien les traces dans la boue de la rive. « J’y vois quand même clair », pensait-il. Et les oiseaux gazouillaient à qui mieux mieux pia-pia-pia-pia, quic-quivic-quic, fiu-fiu-fiu-quic-quivic, ça n’en finissait plus, et puis il s’étira et ouvrit l’œil. Et il faisait encore nuit.
    Il pensa d’abord que tous les oiseaux étaient devenus fous et que c’était peut-être mauvais signe, il allait se passer quelque chose de terrible dans le pays. Mais la nuit était si noire, pas un trait de lumière à l’horizon, pas une étoile ; et l’herbe était pleine de rosée. Et tout d’un coup il eut très peur, comme un petit enfant, et il appela : « Dame, dame, sœur », et sa voix, faible et affolée, lui parut bizarre, et il en eut

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