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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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à croix rouge au milieu de la poitrine. Ils étaient déjà armés, et leurs casques étaient protégés du soleil par des capuchons de toile ou des fichus d’étoffes claires noués autour de la tête. Ils se tenaient raides et droits, l’œil fixé sur l’horizon ; et chaque écuyer portait, étalé contre le flanc de son cheval, le long écu pointu ou ovale aux couleurs vives et brutales, fait pour être vu de loin – carrés, barres, oiseaux, arbres, encore des barres, ou des croix. C’étaient des Français, et beaucoup avaient aussi dans leurs armes la fleur de lis royale. Quelques-uns étaient Champenois ou Lorrains, et avançaient sous leurs propres bannières. Çà et là des hommes entonnaient un chant. De temps à autre une lance frappait un écu.
    Et le tout absorbé dans le monotone fracas de centaines de sabots battant en cadence la route pierreuse.
    Les pèlerins, collés au roc, furent plusieurs fois frôlés par les queues et les houppelandes des chevaux, les tuniques des cavaliers ; et Ansiau, tête levée, bouche ouverte, restait là, frissonnant et haletant comme le vieux cheval de bataille qui entend la trompette – et ces bruits si proches, ces cliquetis d’armes, ces grincements de selles, ces souffles de chevaux l’affolaient, et parce qu’il ne pouvait rien voir il s’y perdait, s’y laissait entraîner, et son cœur se déchirait de les entendre passer là, lui vieux cavalier, et être là, nu et aveugle, sans cheval, sans armes, et ne pouvoir les suivre. Et si fort était l’appel de ces souffles, de ces odeurs, de ces bruits si connus, qu’il avait envie de se jeter sous les pieds des chevaux plutôt que de survivre au moment où il ne les entendrait plus.
    « Auberi, Auberi, regarde bien leurs bannières. Y vois-tu Champagne ?
    — Il y en a une qui en a l’air, une bleue et argent. Mais le soleil me tape trop dans les yeux, je ne vois pas bien. » Ansiau s’étonnait que des gens qui ont des yeux pussent ne pas bien voir. « Bleu et argent, combien de barres ? Avec couronnes ou non ? Y vois-tu Blois ? Bar ? Aigles d’Empire en franc quartier, chape en sable et azur ? — Ils passent si vite, geignait Auberi, je n’ai pas le temps de voir. — Ah ! ha ! – le vieux râlait tout haut, de douleur – ah ! avoir avec moi cet imbécile qui n’a rien appris, à son âge ! ah ! si j’avais mes yeux, misère ! Ah ! Frères, frères, oh ! oh, mes petits enfants, mes beaux garçons, ô compagnons, ô mon sang – mourir, mourir. Partir avec vous. »
    Sur la route on ne voyait plus qu’un lointain nuage de poussière blanche et les dernières bannières se balançaient au trot monotone des chevaux. Le ciel bleu reposait doucement au-dessus de montagnes grises et vertes. La route était parsemée de fumier jaune et encore chaud où corneilles et corbeaux becquetaient tranquillement. Deux cavaliers attardés passèrent encore, au galop, soulevant la poussière, puis le silence se fit sur la route. Les trois pèlerins marchaient lentement, sans parler, assourdis, la terre tremblait encore sous leurs pieds.
    Et comme après le passage de la troupe il n’y avait plus rien à manger dans les bourgades proches de la route, il leur fallut remonter vers l’arrière-pays, et suivre les chemins de montagne.
LE FESTIN
    À Hervi-le-Château, les repas se prolongeaient du matin au soir, on ne quittait la table que vers l’office de none, quand il commençait à faire moins clair dans la salle.
    Dans le verger l’herbe était toute piétinée et, sous les arbres, des toiles et des nattes étaient étendues pour les dames qui voulaient s’y reposer. Les valets y apportaient du vin doux, des fruits confits, du miel, de l’eau claire pour les mains ; et aux branches des plus gros pommiers Herbert avait fait suspendre des balançoires et des hamacs.
    Lui-même était presque tout le temps dans la salle, et déplaçait sa volumineuse personne d’une table à l’autre, suivi de deux valets ; il faisait le tour de tous les invités de marque, les priant de ne pas dédaigner sa cuisine et sa cave, et d’accepter tel ou tel morceau de sanglier ou de perdreau, ou une coupe de clairet ou un poulet truffé – à d’autres il demandait quelle musique ils préféraient entendre jouer, car il avait amené de Troyes plusieurs ménestrels et leur commandait lui-même les airs à jouer. Et lorsque les hôtes se reposaient entre deux bons plats, le maître de maison

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