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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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faisait très bien. L’aveugle aussi écoutait, cherchant à saisir l’air.
    « Mais, dit tout à coup le jeune homme, mais, par les tripes à saint Fiacre ! Vous en ayez une façon de regarder devant vous ! Vous êtes aveugle, par saint Éloi !
    — Tu n’as jamais vu d’aveugles ? demanda Ansiau. Dieu merci, il y en a assez ; on ne les montre pas en foire.
    — Et vous allez loin comme ça ?
    — À Jérusalem. »
    Là, le jeune homme leva les sourcils, et son visage exprima de la pitié pour la naïveté du vieux.
    « Mais c’est loin, Jérusalem, compagnon, dit-il en souriant. Vous ne savez pas le chemin. Il faut traverser tout le pays jusqu’à la mer, et monter sur un bateau, et traverser toute la mer, et c’est dangereux. Et les voyages coûtent très cher.
    — J’en sais quelque chose, dit le vieux. J’ai fait le voyage deux fois. Ce sera la troisième.
    — Hé ! Dieu ! – le jeune homme se signa – vous avez été si loin ? Comme pèlerin, ou comme croisé ?
    — Croisé, mon garçon. Les deux fois. Comme tu vois, j’ai vu du pays. »
    Ils marchèrent quelque temps en silence.
    «  Et toi, demanda Ansiau, quel métier fais-tu ? Tu parles comme un bourgeois. L’homme parut un peu embarrassé.
    — Oh ! moi, je ne suis pas du pays. J’allais à Avignon, cen’est pas que j’y aie des parents, mais on dit que c’est une belle ville. J’aime bien voir du pays, moi aussi. J’irais bien jusqu’à Marseille.
    » Tenez, dit-il brusquement, je vais vous dire une chose : si on faisait route ensemble ? C’est toujours plus sûr ; et c’est plus gai. Avec, cette guerre et tous ces hommes d’armes qui passent dans le pays, il vaut toujours mieux être plusieurs, et avoir de bons couteaux à la ceinture. Des croisés, il. y en a de toutes sortes, vous savez. Et vous avez quand même un enfant avec vous.
    — Bah ! dit Ansiau, par la saison, et d’Avignon jusqu’à Marseille, il y a toujours assez de monde sur la route. Mais pour aller avec nous, ma foi, je ne refuse pas. La route est moins dure quand on a avec qui parler. »
    Le nouveau compagnon, qui dit s’appeler Riquet, était un garçon d’humeur gaie. Il chantait et plaisantait tout le temps ; et Auberi était content d’avoir quelqu’un de jeune à qui parler, et de plus il était tout heureux de faire sentir au nouveau compagnon de route qu’il était fils noble, et le traitait un peu de haut, et ce ton légèrement dédaigneux et protecteur amusait beaucoup Riquet. « Où la noblesse va-t-elle se nicher ? disait-il en riant. Ça marche sur les trous de ses semelles et ça pisse encore dans sa culotte, et ça vous prend de ces airs d’évêque. C’est comme on dit qu’un chien de race ne boira jamais à la même jatte qu’un roquet. » Et il tapotait Auberi sur les joues, et l’enfant haussait les épaules, mi-froissé, mi-conquis par ce geste affectueux.
    Au soir, ils s’arrêtèrent près d’une croix de pierre, pour manger, et tous trois se mirent d’abord à genoux pour une courte prière.
    « Hé ! dit tout d’un coup Auberi à Riquet, païen ! Il te colle à la tête, ton bonnet, ou tu as la lèpre dessous ? » et d’un revers de main il happa le bonnet rouge et le jeta par terre.
    Riquet ramassa bien vite le bonnet, et Auberi leva les yeux sur lui, surpris : sur la tête blond doré, au milieu d’une couronne de boucles emmêlées s’étalait une calotte de cheveux courts et drus comme les poils d’une brosse. « En voilà une coiffure ! s’écria Auberi en riant, c’est à la mode de ton pays, ça ?
    — Petit chiot, dit Riquet, confus, en remettant son bonnet.
    — Qu’y a-t-il, Auberi ? demanda le vieux. L’enfant riait toujours.
    « Il y a qu’il est moine, dit-il enfin. En voilà un beau moine en bonnet rouge ! C’est pour un vœu de pénitence que tu t’habilles comme ça ? »
    Riquet, tout penaud, s’assit à côté du vieux et se mit à manger son pain. « Et après ? dit-il. Ça te démange aux fesses, que je sois moine ? »
    Le vieux accueillit la nouvelle avec indifférence. « Au moins, dit-il, tu ne risques pas de te faire pendre. »
    Tous trois mangeaient en silence. À la fin, Riquet demanda au vieux :
    « Dites, seigneur maître Pierre, vous me voulez toujours pour compagnon de route ?
    — Je ne me mêle pas des affaires des autres, dit le vieux.
    — Je ne veux pas, dit encore le jeune homme, que vous pensiez que j’aie fait

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