La pierre et le sabre
chercher l’Ōgiya.
La première personne qu’il
rencontra fut une femme. La tête couverte d’un voile, elle avait l’air d’une
ménagère quelconque. Jōtarō courut vers elle et lui demanda :
— Comment fait-on pour aller
à Yanagimachi ?
— C’est le quartier réservé,
non ?
— Qu’est-ce que c’est qu’un
quartier réservé ?
— Seigneur !
— Eh bien, dites-moi, qu’est-ce
qu’on y fait ?
— Espèce de... !
Elle lui lança un regard indigné,
et se hâta de poursuivre son chemin. Nullement découragé, Jōtarō
poursuivit avec obstination le sien, demandant à un passant après l’autre où se
trouvait l’Ōgiya.
Le parfum du bois d’aloès
Les lumières brillaient aux
fenêtres des maisons de plaisir, mais il était encore trop tôt pour que les
clients fussent nombreux à rôder dans les trois allées principales du quartier.
A l’Ōgiya, l’un des jeunes
serviteurs jetait par hasard un coup d’œil en direction de l’entrée. Il y avait
quelque chose de bizarre dans les yeux qui épiaient à travers une fente du
rideau, et au-dessous desquels on voyait deux pieds dans des sandales de paille
sale, et l’extrémité d’un sabre de bois. Le jeune homme eut un léger sursaut de
surprise, mais avant qu’il pût ouvrir la bouche, Jōtarō était entré
et exposait son affaire :
— Miyamoto Musashi est bien
dans cette maison, n’est-ce pas ? C’est mon maître. Voulez-vous, s’il vous
plaît, lui dire que Jōtarō est là. Vous pourriez lui demander de
sortir.
L’expression de surprise du
serviteur fut remplacée par un sévère froncement de sourcils.
— Qui donc es-tu, espèce de
petit mendiant ? gronda-t-il. Il n’y a ici personne de ce nom. En voilà
des façons, de venir fourrer ici ton nez crotté juste au moment où le travail
va commencer ! Dehors !
Empoignant au collet Jōtarō,
il le repoussa rudement. Furieux, Jōtarō s’écria :
— Arrêtez ! Je viens
voir mon maître.
— Peu m’importe ce que tu
viens faire, espèce de petit rat. Ce Musashi a déjà provoqué pas mal d’embêtements.
Il n’est pas ici.
— S’il n’est pas ici,
pourquoi ne pas le dire, tout simplement ? Lâchez-moi !
— Tu m’as l’air cafard. Qu’est-ce
qui me dit que tu n’es pas un espion de l’école Yoshioka ?
— Ça n’a rien à voir avec
moi. Quand Musashi est-il parti ? Où est-il allé ?
— Tu commences par me donner
des ordres, et voilà que tu me demandes des renseignements. Tu devrais
apprendre à t’exprimer poliment. Comment saurais-je où il est ?
— Si vous ne le savez pas,
très bien, mais lâchez mon col !
— Bon, je vais le lâcher...
comme ça !
Il saisit l’enfant par l’oreille,
le fit tournoyer, et l’envoya vers le portail.
— Oh ! cria Jōtarō.
A terre, il tira son sabre de bois
et frappa le serviteur à la bouche, lui brisant les dents du devant.
— Aï-ï-ïe !
Le jeune homme porta une main à sa
bouche ensanglantée, et de l’autre terrassa de nouveau le gamin.
— Au secours ! A l’assassin !
hurlait Jōtarō.
Montrant sa force, comme lorsqu’il
avait tué le chien à Koyagyū, il abattit son sabre sur le crâne du
serviteur. Le sang jaillit du nez du jeune homme ; en ne faisant pas plus
de bruit qu’un soupir de ver de terre, il s’effondra sous un saule.
Une prostituée en montre derrière
une fenêtre grillée, de l’autre côté de la rue, leva la tête et cria vers la
fenêtre voisine :
— Regarde ! Tu vois !
Ce gosse au sabre de bois vient de tuer un bonhomme de l’Ōgiya ! Il
prend la fuite !
En un clin d’œil, la rue fut noire
de gens qui couraient en tous sens, et l’air retentit de clameurs vengeresses :
— Par où est-il passé ?
— Il était comment ?
Aussi brusquement qu’il avait
débuté, le tumulte s’apaisa ; à l’heure où les fêtards commencèrent à
affluer, l’incident avait déjà cessé de défrayer les conversations. Les
bagarres étaient fréquentes, et les citoyens du quartier calmaient ou cachaient
rapidement les plus sanglantes, pour éviter les enquêtes policières.
Alors que les allées principales
se trouvaient éclairées comme en plein jour, il y avait des chemins écartés et
des terrains vagues où il faisait nuit noire. Jōtarō trouva une
cachette, qu’il changea pour une autre. Assez naïvement, il se croyait tiré d’affaire ;
en réalité, tout le quartier était entouré par
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