La pierre et le sabre
Otsū !
— Elle vous a vu sur le pont,
au Jour de l’An, causer avec cette folle. Otsū s’est mise en colère et
enfermée dans sa coquille, comme un escargot. J’ai essayé de la traîner sur le
pont, mais elle n’a pas voulu venir.
— Je ne lui en veux pas. Ce
jour-là, moi aussi j’étais bouleversé par Akemi.
— Il faut que vous alliez la
voir. Elle est chez le seigneur Karasumaru. Entrez seulement, et dites-lui :
« Regarde, Otsū, je suis là. » Si vous faites ça, elle ira mieux
bientôt.
Jōtarō, qui brûlait de
convaincre, en dit bien davantage, mais telle était la substance de ses propos.
Musashi grogna par-ci par-là, dit une ou deux fois : « Vraiment ? »
mais, pour des raisons que l’enfant ne put sonder, malgré ses supplications
Musashi ne répondit pas expressément qu’il ferait ce qu’on lui demandait. En
dépit de toute sa dévotion envers son maître, Jōtarō se mit à
éprouver de l’antipathie pour lui, la démangeaison d’avoir une vraie bagarre
avec son maître.
Son hostilité s’échauffa au point
que, seul, son respect la tenait en échec. Il tomba dans le silence, sa
désapprobation inscrite en grosses lettres sur son visage, le regard maussade,
les lèvres grimaçantes comme s’il venait de boire un verre de vinaigre.
Musashi reprit son manuel de
dessin, son pinceau, et ajouta quelques traits à l’une de ses esquisses. Jōtarō,
en regardant avec un dégoût furibond le dessin qui représentait l’aubergine, se
disait : « Qu’est-ce qui lui fait croire qu’il est capable de peindre ?
L’affreux bonhomme ! »
Bientôt, Musashi se désintéressa
de son ouvrage et rinça son pinceau. Jōtarō s’apprêtait à plaider une
fois de plus lorsqu’ils entendirent des sandales de bois sur les dalles,
au-dehors.
— Votre lavage est sec, dit
une voix de petite fille.
La servante qui avait guidé Jōtarō
entra, porteuse d’un kimono et d’un manteau pliés avec soin. Les disposant
devant Musashi, elle l’invita à les inspecter.
— Merci, dit-il. On les
croirait neufs.
— Les taches de sang ne s’en
vont pas facilement. Il faut frotter, frotter...
— Maintenant, elles semblent
parties, merci... Où donc est Yoshino ?
— Oh ! elle est
terriblement occupée, à aller d’un client à l’autre. Ils ne lui laissent pas un
instant de répit.
— Mon séjour ici a été bien
agréable, mais si je reste davantage, je serai pesant. J’ai l’intention de m’en
aller discrètement, dès l’aube. Veux-tu le dire à Yoshino, et lui exprimer mes
plus profonds remerciements ?
Jōtarō se détendit.
Musashi devait sûrement former le projet de voir Otsū. C’est ainsi que son
maître devait être : un homme bon et droit. L’enfant eut un sourire de
bonheur.
Aussitôt la fillette repartie,
Musashi posa les vêtements devant Jōtarō et lui dit :
— Tu arrives à pic. Il faut
rendre ces vêtements à la femme qui me les a prêtés. Je veux que tu les portes
chez Hon’ami Kōetsu – c’est au nord de la ville –, et me
rapportes mon propre kimono. Veux-tu être un gentil petit garçon et faire ça
pour moi ?
— Certainement, répondit Jōtarō,
l’air approbateur. J’y vais de ce pas.
Il enveloppa les vêtements dans
une toile, ainsi qu’une lettre de Musashi à Kōetsu, et chargea le ballot
sur son dos. A ce moment précis arriva la servante avec le dîner ;
horrifiée, elle leva les bras au ciel.
— Que fais-tu là ?
hoqueta-t-elle.
Quand Musashi le lui eut expliqué,
elle s’écria : « Oh ! vous ne pouvez le laisser partir ! »
et lui raconta ce qu’avait fait Jōtarō. Heureusement, ce dernier
avait mal visé, et le serviteur avait survécu. Elle assura à Musashi qu’étant
donné qu’il ne s’agissait là que d’une bagarre entre beaucoup d’autres, l’affaire
n’aurait pas de suite, Yoshino en personne ayant demandé au patron et aux
jeunes employés de l’établissement de se taire. La servante signala aussi que Jōtarō,
en se proclamant par inadvertance le disciple de Miyamoto Musashi, avait donné
créance au bruit que Musashi se trouvait encore à l’Ōgiya.
— Je vois, dit simplement le
jeune homme.
D’un air interrogateur il regarda Jōtarō
qui se gratta la tête, se retira dans un coin et se fit le plus petit possible.
La fillette reprit :
— Je n’ai pas besoin de vous
dire ce qui se passerait s’il essayait de sortir. Il y a encore dans les
parages beaucoup
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