La pierre et le sabre
sont plus dangereuses que les
sabres. Toutefois, les autres ne peuvent résoudre ses problèmes à sa place, et
pour ma part, je ne vois rien de mieux à faire qu’à le laisser tranquille.
Un peu gêné d’en avoir tant dit
devant Jōtarō, il se hâta de présenter ses remerciements et de faire
ses adieux à son hôte en le priant à nouveau de permettre à Otsū et Jōtarō
de prolonger un peu leur séjour.
Pour Takuan, le vieux dicton que
les voyages devraient commencer le matin n’avait pas de sens. Prêt à partir, il
partit, bien que le soleil fût nettement à l’ouest et que déjà tombât la nuit.
Jōtarō courait à son
côté en le tirant par la manche.
— S’il vous plaît, s’il vous
plaît, revenez dire un mot à Otsū. Elle a encore pleuré, et je n’arrive
pas à la consoler.
— Avez-vous parlé de Musashi,
tous les deux ?
— Elle m’a dit de vous
demander quand il viendrait. S’il ne vient pas, je crains bien qu’elle ne
meure.
— Ne t’inquiète pas de sa
mort. Laisse-la tranquille.
— Takuan, qui donc est cette
Yoshino Dayū ?
— Pourquoi me poses-tu cette
question ?
— Vous avez dit que Musashi
était avec elle. N’est-ce pas ?
— Euh... Je n’ai pas l’intention
de retourner tâcher de guérir Otsū, mais je veux que tu lui dises quelque
chose de ma part.
— Quoi donc ?
— Dis-lui de manger comme il
faut.
— Je le lui ai dit cent fois.
— Vraiment ? Eh bien, c’est
la meilleure chose qu’elle puisse entendre dire. Mais si elle refuse d’écouter,
tu peux aussi bien lui apprendre toute la vérité.
— Qui est ?
— Que Musashi s’est toqué d’une
courtisane appelée Yoshino, et n’a pas quitté le bordel depuis deux jours et
deux nuits. Otsū est folle de continuer d’aimer un pareil homme !
— Ce n’est pas vrai !
protesta Jōtarō. Il est mon Sensei ! Il est samouraï !
Il n’est pas comme ça. Si je disais ça à Otsū, elle risquerait de se
suicider. C’est vous, le fou, Takuan. Un grand, vieux fou !
— Ha ! ha ! ha !
— Vous n’avez pas le droit de
dire du mal de Musashi, ou de traiter Otsū de folle.
— Tu es un brave garçon, Jōtarō,
dit le prêtre en lui tapotant la tête.
L’enfant se baissa pour éviter sa
main.
— J’ai assez de vous, Takuan.
Jamais plus je ne vous demanderai de m’aider. Je trouverai Musashi moi-même. Je
le ramènerai à Otsū !
— Sais-tu où est l’endroit ?
— Non, mais je le trouverai.
— Sois impertinent si ça te
chante, mais il ne te sera pas facile de trouver où habite Yoshino. Veux-tu que
je te le dise ?
— Ne vous donnez pas cette
peine.
— Jōtarō, je ne
suis pas l’ennemi d’Otsū ; je n’ai rien non plus contre Masushi. Loin
de là ! Voilà des années que je prie pour que tous deux puissent réussir
leur existence.
— Alors, pourquoi êtes-vous toujours
en train de dire des choses aussi méchantes ?
— Ça te fait donc cet
effet-là ? Peut-être as-tu raison. Mais pour l’instant, tous deux sont des
malades. Si on laisse Musashi tranquille, il guérira mais Otsū a besoin d’aide.
En ma qualité de prêtre, j’ai tenté de l’aider. Nous sommes censés pouvoir
guérir les maladies du cœur, tout comme les médecins guérissent les maladies du
corps. Hélas ! je n’ai été capable de rien faire pour elle ; aussi,
je renonce. Si elle est incapable de se rendre compte que son amour n’est point
partagé, le mieux que je puisse faire est de lui conseiller de manger comme il
faut.
— Ne vous inquiétez pas. Otsū
ne va pas demander secours à un grand charlatan comme vous.
— Si tu ne me crois pas, va à
l’Ōgiya, à Yanagimachi, et vois par toi-même ce que Musashi fabrique.
Ensuite, reviens dire à Otsū ce que tu auras vu. Elle en aura quelque
temps le cœur brisé, mais il se peut que ça lui ouvre les yeux.
Jōtarō se boucha les
oreilles.
— Taisez-vous, vieil
imposteur !
— C’est toi qui m’as couru
après, l’as-tu oublié ?
Tandis que Takuan s’éloignait et
le laissait seul, Jōtarō, debout au milieu de la rue, répétait une
très irrespectueuse rengaine qui servait aux gamins des rues à tourner en
dérision les prêtres mendiants. Mais sitôt que Takuan eut disparu sa voix s’étrangla,
il éclata en sanglots et pleura amèrement. Lorsqu’enfin il se fut ressaisi, il
s’essuya les yeux et, comme un chiot perdu qui se rappelle soudain le chemin de
sa demeure, se mit à
Weitere Kostenlose Bücher