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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ramentois-je à ce jour que c’est le 24 mai de
l’année 1594 que je reçus de M me  de Guise (la veuve de
l’assassiné de Blois) une lettre missive me priant de la venir voir en son
hôtel, et si je me ramentois si bien, et du jour, et même du moment, c’est
qu’une heure auparavant, à onze heures précises, alors que je me préparais à
prendre ma repue de la mi-journée, j’avais appris que, la veille, se trompant
quasiment de saison, une affreuse et mortelle gelée s’était abattue sur les
vignes des alentours de Paris, les séchant et flétrissant sur pied. J’avais
incontinent prié prou Miroul de galoper jusqu’à celles qui s’étageaient sur le
coteau de Montmartre pour me dire ce qu’il en était et sur la triste annonce
qu’il me fit à son tour qu’il n’en restait plus miette, j’en conclus que les
nôtres, celles du Chêne Rogneux, et celles de La Surie, étaient, elles
aussi, perdues : crainte qui ne tarda point à se vérifier, le désastre,
comme nous l’apprîmes dans le mois qui suivit, s’étendant quasi à toute la
France, hormis la Provence et le Languedoc.
    Au Chêne Rogneux, je ne cultivais de vigne que ce qui était
nécessaire aux besoins de ma seigneurie, et ce n’est point en l’occurrence tant
ma table que je plaignais, car je ne suis guère adonné à la dive bouteille,
tant de par ma naturelle tempérance que parce que je tiens Bacchus pour le pire
ennemi de Vénus, au point que je ne peux comprendre qu’un homme soit assez bas
de poil pour préférer le plaisir d’un pot de vin aux délices que nous
partageons sur notre couche avec la plus belle moitié de l’humanité.
    Mais il ne m’échappait pas que cette impiteuse gelée allait
plonger un nombre infini de vignerons dans la misère, et avec eux le royaume entier,
le vin étant une des principales marchandises dont nous faisions commerce avec
l’Anglais, le Hollandais et l’Allemand. Adonc, comble de malheur et surcroît de
dol pour notre pauvre pays, déjà si appauvri par un demi-siècle de guerres
civiles.
    C’est donc sur le coup de cette nouvelle et dans des
sentiments chagrins que ce 24 mai, je me mis à ma repue de douze heures
avec Miroul, tous deux silencieux assez et plus inattentifs à Guillemette qui
nous servait que si elle eût été escabelle ou cancan, ayant l’esprit tout
occupé des extrêmes nécessités où tant de bonnes gens s’allaient retrouver dans
le plat pays, sans même compter que les moissons cette année non plus ne
promettaient guère et que les laboureurs, exaspérés, et exagités par l’excès de
leurs souffrances, se rebellaient jà dans le Périgord – mon natal Mespech
ayant dû se remparer contre les « croquants ».
    C’est dans ces mélanconiques dispositions qu’un petit vas-y-dire, toquant à mon huis, me remit un billet étonnant.
     
    Monsieur de
Siorac,
     
    Me ramentevant que sous la déguisure du maître-drapier
Coulondre, vous aviez travaillé, d’ordre de mon cousin le roi, à m’envitailler
durant le siège de Paris, ainsi que mes parentes Mesdames de Nemours et
Montpensier, et ayant admiré alors l’émerveillable dextérité avec laquelle vous
vous étiez acquitté de cette tâche difficile, j’aimerais que vous me veniez
visiter cette après-midi même – si vous le tenez pour agréable – afin
que je puisse quérir et recevoir vos avisés conseils touchant une question qui
me tient fort à cœur.
    Votre bien bonne amie.
    Catherine, Duchesse
de Guise.
     
    Ce billet me laissa béant et ne sachant de prime qu’en
penser, je le passai à M. de La Surie, qui le lut en levant le
sourcil.
    — Ventre Saint-Antoine ! dit-il, il faut bien
avouer que ces hautes dames ont des façons très civiles de vous commander.
« J’aimerais que vous me fassiez la grâce » ou encore « si vous
le tenez pour agréable » ou encore « votre bien bonne amie ».
    — « Votre bien bonne amie », dis-je, n’est
pas tant expression aimable que coutumière, s’agissant d’un prince ou d’une
princesse s’adressant à un gentilhomme. Henri Troisième, quand il lui arrivait
de m’écrire, ne signait pas autrement. Cependant, ajoutai-je, après avoir
repris et relu le poulet, M me  de Guise y met, en effet,
des formes, si pressant et si impérieux même que soit son appel.
    — Mais où est donc l’urgence ? Que te
veut-elle ? Et quelle est donc cette question qui lui tient tant à
cœur ?
    — Elle me le dira, j’espère,

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