La pique du jour
dans une petite heure.
— Tu iras donc ?
— Certes ! Sur l’instant ! Il faudrait beau
voir que je désobéisse à si haute dame !
— Et, mon Pierre, m’emmèneras-tu ?
— Nenni, Miroul, dis-je, sachant que je l’allais bien
désoler. La duchesse pourrait craindre de me parler devant témoin. Et en
particulier devant un témoin amené par moi.
Les trois princesses lorraines, encore que deux d’entre
elles ne le fussent que par alliance, ne pouvaient qu’elles n’appartinssent à
la Ligue, mais maugré qu’elles fussent dans le camp ennemi, le roi m’avait
prié, en effet, de les envitailler pendant le siège tant de par sa naturelle
bénignité et grande amour des femmes que par habileté politique et sage
ménagement de l’avenir. Pour moi, si fidèlement que j’eusse accompli pour les
trois cette mission, je nourrissais pour chacune d’elles des sentiments bien
différents. J’adorais la première, j’abhorrais la deuxième. Et encore que la
troisième – celle qui requérait mon aide – me plût prou, je la
connaissais peu.
M me de Nemours – l’objet de ma
très ardente et platonique adoration – avait été surnommée par le peuple
de Paris qui aime à gausser de tout, la reine mère, pour la raison
qu’elle avait été épouse, mère et grand-mère de trois ducs de Guise qui,
tous trois sous l’égide de la Sainte Ligue, avaient aspiré au trône de France, le
seul survivant de cette dynastie étant son petit-fils, Charles, âgé de
vingt-trois ans, lequel était justement le fils de la duchesse que j’allais
visiter.
La deuxième, la fille de M me de Nemours,
la Montpensier, dite la Boiteuse par les Politiques, m’avait quasi
contraint à coqueliquer avec elle en notre première encontre, mais apprenant
par M lle de La Vasselière avec quel zèle je servais Henri
Troisième, attenta vainement ensuite de me faire dépêcher, et machina, quelques
années plus tard, l’assassination de mon bien-aimé maître, scélérate entreprise
qui ne réussit que trop bien.
La troisième – mais est-il bien nécessaire que j’en
touche au préalable un mot, alors que me voilà toquant à son huis, et que je
suis tout de gob introduit en sa présence par deux grands faquins de laquais
portant livrée aux couleurs des Guise, lesquelles comportaient dans le dos une
grande croix de Lorraine.
La duchesse m’attendait non point dans son grand salon, mais
dans un petit cabinet attenant, où brûlait un beau feu – ce mois de mai
étant quasiment hivernal – et j’oserais dire que pour une dame de son
rang, elle était fort modestement attifurée d’une robe de brocart vert pâle
brodée de losanges or et d’un corps de cotte sans fraise, ouverte sur le devant
et comportant un grand col en point de Venise relevé derrière la nuque. Et
tandis que les robes d’apparat de nos hautes dames à la Cour sont si chargées
de pierreries que les pauvrettes peuvent à peine bouger et doivent demeurer
droites et sans branler, cette vêture que j’ai dite, laissait à la duchesse
toute liberté de mouvement, et d’autant que M me de Guise,
pour se sentir chez soi plus à l’aise, n’avait point voulu, à ce qui me sembla,
se laisser lacer par ses chambrières dans une de ces inhumaines basquines qui
ont pour but d’amincir la taille de nos belles, de remonter leurs tétins et
d’évaser leurs hanches.
Quant à ses bijoux – un gros rubis entouré de diamants
à la main dextre, un collier à trois rangs de perles autour de son cou suave,
des boucles d’or trémulant à ses mignonnes oreilles –, vous voudrez bien
consentir, belle lectrice, que c’était là peu de chose pour une duchesse, et
que M me de Guise donnait ce matin-là à ses
semblables – j’entends les autres princesses de la Cour – l’exemple
d’une émerveillable simplicité…
Étant mon aînée de trois ans, elle avait alors quarante-six
ans, et encore que nos beaux muguets de cour prétendent qu’après trente ans,
une femme n’est plus digne de leurs attentions, j’oserais dire que si j’avais
été duc, j’aurais fort volontiers dirigé les miennes de son côté. Sa taille
tirait plutôt vers le petit – petitesse dont Charles de Guise avait
par malheur hérité –, mais chez elle, c’était un charme de plus, sa
personne étant mince et cependant rondie, vive et frisquette en ses mouvements,
pétulante en ses manières, l’œil bleu lavande, et quasi naïf en sa
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