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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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capitaine,
cousu dans sa cuirasse depuis vingt ans ? À quoi se monte votre trésor de
guerre ? Je m’en vais vous le dire : à quatre cent mille écus de
dettes que votre défunt père vous a laissés. Et que tirez-vous de votre
governorat de Champagne que vous usurpez, de reste, l’exécré Henri Troisième
l’ayant donné au duc de Nevers après l’assassination de votre pauvre père. Et
dites-moi qui commande véritablement à Reims ? Vous ou le capitaine de
Saint-Paul, qui est plus espagnol que le duc de Feria ? Et à supposer même
que Philippe II réussisse à vous pousser sur le trône de France, ignorez-vous
qu’il vous colloquera en mariage à sa fille Claire Eugénie Isabelle. Jusque sur
votre coite vous serez espagnolisé ! Vertudieu ! Que dolor !
Que vergogna [3]  ! Souffrirez-vous que le con
castillan emporte sur le vit français ? Et ne pouvez-vous entendre à la
parfin que cette ridicule élection au trône de France vous vaut la jaleuseté et
l’exécration de tous les vôtres ? De votre oncle Mayenne qui l’eût voulu
pour lui-même ou à tout le moins pour son fils ! De votre tante
Montpensier qui ne jure que par son frère Mayenne ! De votre grand-mère
Nemours qui, elle aussi, convoitait le sceptre mais pour son fils
Nemours ! Et comme s’il n’était pas assez que les royalistes et les Politiques se gaussent de vous à gorge rompue, votre propre famille ouvertement vous
brocarde. Votre bonne grand-mère vous appelle « le petit morveux sans
nez ». Et votre bonne tante Montpensier prétend que lorsque vous couchez
chez elle avec ses dames d’atour, vous chiez au lit !…
    Tout ce discours fut débité par la duchesse avec une
pétulance qui me laissa pantois, et quasi sans reprendre souffle, l’œil bleu
étincelant, et le rouge envahissant par degrés son cou mollet et ses joues.
Cependant, le vent et haleine lui revenant, elle reprit, mais un octave plus
bas.
    — Pour la chierie au lit, c’est vrai. Un infortuné
incident, Marquis, dû à un subit dérèglement des boyaux, qui ne laissa pas le
temps au pauvret de se lever et de gagner la chaise percée. Mais pour son nez,
Monsieur, vous qui avez vu le prince de Joinville, n’est-ce pas calomnie toute
pure ?
    — Assurément, Madame la Duchesse, dis-je avec gravité,
le duc de Guise au nez – un nez moins volumineux, moins long, et
moins courbe que celui de Sa Majesté – mais cependant un nez.
    — Diriez-vous, s’exclama la petite duchesse, sa
physionomie vive et ouverte trahissant quelque inquiétude, que le duc a le nez
camus ?
    — Mais point du tout ! dit je vivement. Le duc a,
se peut, un nez un peu abrégé au bout, mais qui contribue justement à donner à
sa physionomie je ne sais quoi d’aimable et de spirituel.
    — Ha ! Monsieur ! dit la duchesse, comme cela
est joliment tourné ! Et m’envisageant avec gratitude, assis que j’étais à
ses pieds, mon menton à la hauteur de son genou, elle me tendit sa dextre, et
moi, tout ensemble ébaudi et atendrézi par ses naïvetés, et prenant entre mes
fortes mains sa suave menotte, je la poutounai à la fureur ; mignonneries
que cette haute dame souffrit d’un air distrait, avant que de me retirer ses
doigts d’un air de contrefeinte confusion et de reprendre tout de gob le fil de
son passionné discours. La Dieu merci, dit-elle, sans prendre les armes contre
le roi, Charles est départi pour la Champagne se remettre en la possession de
Reims avant que le capitaine de Saint-Paul en ait par trop espagnolisé la
garnison. Mais, Marquis, cela ne suffit pas. Il faudra tout à trac réconcilier
mon fils Charles avec Sa Majesté afin qu’il retrouve dedans le royaume et
à la Cour la place à laquelle son grand nom lui donne droit.
    — Madame, dis-je, le nom de Guise est grand, en
effet. Il a retenti dans l’univers et il a été si longtemps la caution, le
soutien et l’étendard de la prétendue Sainte Ligue que Sa Majesté serait
assurément dans le ravissement de voir se rallier à lui le prince de Joinville,
mais encore faudrait-il que ce ralliement ne se fit pas trop tard, j’entends
après que Reims et la Champagne ne se donnent de soi à Sa Majesté, passant
par-dessus la tête de Monsieur votre fils, le laissant sans gage aucun et
grosjean comme devant.
    — C’est là précisément où le bât me blesse, s’écria la
petite duchesse qui ne me parut plus si naïve maintenant qu’on en venait aux
faits, mais vous me

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